samedi 27 avril 2013

Ma dernière pièce en gestation, pas finie, sur le thème du discount et du low-cost



HLLC

Cadre : Bon, tout d’abord bonjour et bienvenue à HLLC…Oui je sais l’enseigne surprend un peu. Tout le monde se dit : « Qu’est-ce que ça veut dire ? », « à priori comme ça ce n’est pas vendeur… ». Vous les journalistes vous êtes forts sur ce genre de commentaires.
Journaliste : Vous faites les questions et les réponses…Je ne comprends pas pourquoi vous êtes sur cette défensive ?
Journaliste 2 : Reconnaissez qu’il y a de quoi se poser des questions…La première d’entre elles étant : « à quoi correspond ce sigle ? »
Cadre : Eh bien je vais lever le voile…Vous avez devant vous le créateur du concept…Je me présente John Olivier Michenaud…HLLC ça veut dire Hyper Luxe Low Cost…Je comprends que ça puisse surprendre, mais je dois vous dire que pour un démarrage ça marche très fort !
Journaliste 1 : Vous pouvez nous éclairer un peu plus sur le concept ?
Journaliste 2 : Qu’est-ce que vous avez comme genre de clients ?
Cadre : Une seule question à la fois s’il vous plait…D’autre part je sens comme une sorte de condescendance à l’égard de nos clients potentiels…Non, ce ne sont pas des succédanés de riches, des riches petits-joueurs, des faux riches, des riches placebos…Ce sont de vrais riches, des vrais de vrai…C’est là que vous ne nous attendiez pas, n’est-ce pas ?
Journaliste : On n’attendait rien de spécial…On attend des explications.
Journaliste 2 : On fait notre métier, le reste on s’en fiche
Cadre : Nous avons essentiellement des milliardaires du Qatar. On a deux ou trois chypriotes aussi. Des chinois et des russes, ça on en a aussi pas mal…
Journaliste 1 : Des « brics » ?
Cadre : Des indiens oui, des brésiliens aussi avec l’effet « jeux olympiques »…Des américains également, mais pas tant que ça parce qu’en fait ils avaient déjà intégré un peu le concept sans le savoir…
Journaliste 2 : Venons-en au concept alors précisément…
Cadre : L’idée ? On propose aux méga-riches des produits d’hyper luxe en version low cost. On est partis du constat que le « low cost » c’est la mode et que les riches aussi voulaient en croquer…Alors on a créé le segment
Une secrétaire : Excusez-moi…John Olivier ? Le Sheik Walid t’attend dans ton bureau pour son yacht…
Cadre : Barbara, je t’ai déjà expliqué, tu le fais attendre…(Il la présente aux journalistes) Barbara une petite nouvelle…Tu ne le fais pas asseoir, tu ne lui offres rien, ni à boire, ni à manger…Allez file ! (Aux journalistes) Elle a du mal avec le concept global, comme tous les débutants dans la boite…Les traiter comme des merdes fait partie de ce concept…Mais je vais plutôt prendre un exemple concret…Prenons cette bagnole de luxe (Il montre)
Journaliste 1 : C’est une…? Une Ferrari ?
Cadre : Une Bugatti Veyron 16.4 à deux millions d’euros. Nous on la propose en version low cost à trois millions…Ouais alors je sais ce que vous allez me dire : « C’est plus cher que la version normale…»
Journaliste 2 : Pas du tout ! On allait juste vous faire remarquer que c’est plus cher que la version normale…
Cadre : (Il ne relève pas l’allusion) Exactement ! Et c’est justement là toute la particularité de notre positionnement…En termes de low cost, on est les plus chers !...Parce que, mine de rien, défaire des boiseries en loupe d’orme ou en ronce de noyer pour les remplacer par du plastoc de merde, eh ben ça a un coût…! (Son pied bute dans quelque chose) Qui c’est qui laisse traîner ces merdes ici ?
Journaliste 1 : Je crois que justement c’est une des boiseries en question, en ronce de noyer
Cadre : Je vais leur remonter les bretelles à ceux de l’atelier…
Journaliste 2 : Dites, je peux… ? (Il fait comprendre qu’il récupèrerait bien la pièce)
Cadre : Bien sûr, à la déchetterie ou chez vous…(Le journaliste prend la pièce en ronce de noyer et fait un signe à l’autre pour signifier à l’autre qu’il trouve ces gens complètement tarés)…Et donc c’est ce qui rend nos produits plus chers qu’en versions originales…Les riches adorent, d’autant plus que leur modèle est du coup assez facile à personnaliser…Mais tout à l’heure, Lucien notre sociologue-théoricien vous expliquera ça mieux que moi…Tiens  salut Yannick, je te laisse avec deux journalistes…messieurs il faut que j’aille m’occuper du Sheik et de son chèque…Bonne continuation pour la suite de la visite…
Yannick : Bonjour, Yannick Costa, préparateur…Veuillez me suivre jusqu’à mon atelier
Journaliste 1 : Vous préparez une voiture ?
Yannick : Pas du tout…Il ne vous a pas expliqué John-Olivier ? Ça ne m’étonne pas, pour lui il n’y a que son secteur qui compte…Mais le low-costage concerne beaucoup d’autres produits de luxe…Je m’occupe de tous les produits comestibles
Journaliste 2 : Ce qui veut dire ce qui se mange et se boit…Nous sommes curieux de voir ça…Vous nous faites une petite démonstration ?
Yannick : Je vais vous low-coster une bouteille de Château d’Yquem 1870…Nous n’en avons  que deux à « emménager »…Il ne faut pas que je me rate !
Journaliste 1 : 1870 ? Et combien vaut une bouteille de sauternes de ce millésime ?
Yannick : Alors pour l’info, au départ c’est une bouteille à 21000 euros et des brouettes…
Journaliste 2 : (Après avoir regardé l’autre journaliste d’un drôle d’air) Et vous… ?
Yannick : Tenez-moi la bouteille…Je vais la siphonner avec une seringue, bien proprement à travers le bouchon…(Il attrape la seringue)
Journaliste 1 : Wow ! Wow ! Woow ! Doucement…A l’atelier ils balancent les loupes d’orme et les ronces de noyer à la déchetterie, vous qu’est-ce que vous faites du vin ? Ne me dites pas que vous le mettez dans l’évier ?
Yannick : Mais c’est dégueulasse le sauternes, c’est liquoreux, c’est imbuvable !
Journaliste 2 : Dites on peut… ?
Yannick : Vous le voulez ? Prenez ma bouteille de coca, elle est presque vide…
Journaliste 2 : Wah…Le beau-père qui se la pète avec des bouteilles à 50 euros, il va pas en revenir ! Je vais photocopier une étiquette d’origine et lui faire croire que je l’ai achetée…
Journaliste 1 : N’oublie pas de vider le fond de coca et invite-moi le jour où vous la buvez
Yannick : Une fois que j’ai fini de siphonner, je la remplis de Boulaouane 2012, toujours à la seringue et on facture ça 41000 euros au client…C’est comme ça qu’on fait du vin de luxe low-cost !...Tenez bien la bouteille je vous ai dit !
Journaliste 1 : Ceux de Château d’Yquem, ils ne disent rien ? Ils sont pourtant assez chatouilleux sur leur image de marque…
Yannick : Nous ne sommes officiellement que des sous-traitants engagés par le client…De plus on fait signer une clause de confidentialité au client…
Journaliste 2 : D’accord ! (Il prend une barquette de foie gras) Et donc, ça c’est du foie gras low-costé ? A 400 euros la barquette…
Yannick : Vous voulez goûter ? Je suis en train d’en préparer…
Journaliste 2 : Non, je voudrais bien le foie gras d’avant…Avec du sauternes…
Yannick : Si le chat en a laissé…(Il appelle le chat) Mitsou ? (Il ramasse la gamelle) Non, mais il me reste une barquette dont la date de péremption est dépassée…Vous la voulez ? Cadeau…Moi, euh…(Sur le ton de la confidence) Le foie gras ça me fait péter…
Journaliste 2 : Du pâté de chez Lidl ? Non merci,…on va vous laisser travailler…(A l’autre) Tu viens ?
Yannick : Allez voir Abdül, notre stagiaire, au secteur de la joaillerie, il se débrouille très bien…Je pense que le patron va lui signer un cdi. C’est cette porte…(Il montre)
Journaliste 1 : Monsieur Abdul ? (Prononcé Abdoul)
Abdül : Abdül ! Ah c’est vous les journalistes, entrez…Dans toute la gamme des produits de luxe déluxés, je m’occupe de la bagouserie…Nous, sur tout ce qui est bagouserie on a un positionnement fort. Une chevalière Cartier, genre sertie de diamants et tout…Eh bien nous on fait sauter toutes les pierres et on les remplace par du verre de cannette…
Journaliste 2 : C’est intéressant…
Abdül : C’est cette politique commerciale qui nous permet de pouvoir proposer à notre clientèle des chevalières low-cost pour à peine deux fois le prix d’une chevalière classique de merde que tous les riches peuvent s’acheter ou que tous les braqueurs peuvent récupérer à la voiture bélier ou à la kalachnikov…
Journaliste 1 : (A l’autre journaliste assez discrètement) T’as récupéré du sauternes et un tableau de bord en ronce de noyer, si tu permets pour les pierres…
Abdül : Je vous arrête tout de suite les gars…Je suis stagiaire moi ici, même pas en cdd…
Tout juste le smic, et encore…Alors j’ai mon petit commerce. Dans ma téci, toutes les zouz, même celles sous le nikab, je leur fourgue un petit diamant pour pas trop cher…Et du coup y a pas que les pierres que je fais sauter si vous me comprenez…Enfin, à part ça, je suis clean, pas besoin de tremper dans les trafics…
Journaliste 2 : Oui, on comprend…
Abdül : Mais il y a une caillasse violette qui est tombée parce que j’y suis allé trop fort avec le tournevis…Elle a roulé là-bas dessous…Si vous la trouvez…
Journaliste 1 : Violette ? Une améthyste de chez Cartier… !!! (Il commence à chercher par terre, fébrilement)
Sociologue : (Entrant) Bonjour, vous êtes les journalistes ? (Au journaliste 1 à quatre pattes) Vous avez perdu quelque chose ? (A Abdül) Bon, je les prends en charge…Vous me suivez ?
Abdül : (Au journaliste 1, en l’aidant à se relever) C’était un saphir violacé je crois, l’améthyste ça vaut rien…De toute façon la technicienne de surface, elle l’a surement aspiré avec son aspiro de ouf…Un truc énorme ! Salut (Il se remet au travail)
Sociologue : Vous savez, de nombreuses études sociologiques ont été faites…Il en est ressorti que les riches  avaient besoin qu’on mette à leur portée certains privilèges réservés aux pauvres…Par exemple les riches adorent l’idée de « Bons de réduction ».
Journaliste 2 : Je crois que tout le monde adore cette idée
Journaliste 1 : Putain, un saphir de chez Cartier ! J’y crois pas !
Sociologue : Oui mais, paradoxalement les riches n’assument pas le côté « réduction »…Nous parlons toujours, bien entendu, de riches « riches », pas de vulgaires richous ou « blindés ».
Alors on a réfléchi et puis on a adapté le concept à notre clientèle…
Journaliste 2 : Je crains le pire…
Journaliste 1 : Un saphir de chez Cartier dans l’aspirateur… !
Sociologue : C’est de cette réflexion que sont nés les « Bons d’augmentation ».
Journaliste 2 : (Vraiment étonné) Des bons d’augmentation ? Et ça marche comment ?
Journaliste 1 : Un saphir de chez Cartier !
Journaliste 2 : Ta gueule avec ton saphir !
Sociologue : Alors, au passage en caisse le riche donne son bon d’augmentation et hop il paye deux fois le prix du produit…Prenons l’exemple d’une pelle à tarte en or massif d’une valeur de 12000 euros affichés en boutique…Au passage en caisse le riche sort son bon d’augmentation…Il l’annonce fort dans le magasin, le pic de plaisir se situant à ce point de la transaction
(Balance lumière dans le magasin où se joue la scène de cette transaction)
Cliente aisée : Pour le mariage de la fille Leblanc-Alabarel, il faut qu’on trouve quelque chose…Tout est déjà réservé sur la liste de mariage…Cette pelle à tarte, elle est pas mal…Beau design !
Client aisé : Tu rigoles ?! Une pelle à tarte signée Brancusi, t’as vu le prix ?! 12000 euros, elle peut être « pas mal » !…On va prendre autre chose…
Cliente aisée : Oui, mais tu sais les Leblanc-Alabarel…bon euh…Il ne faut pas prendre n’importe quoi.
Cliente riche : Eh chéri…(Aux deux autres) Pardon messieurs-dames…Viens voir, une pelle à tarte Brancusi…
Client riche : Combien ?
Cliente riche : 12000 euros
Client riche : On la prend ! (Il va vers la caisse) Bonjour madame (Très fort) J’ai un bon d’augmentation, je voudrais l’utiliser…
Caissière : Très bien monsieur, pas de problème…cela vous fera 24000 euros
Client riche : Merci (Il donne sa carte bleue) Inutile de faire un paquet cadeau, c’est pour emporter…(A madame en sortant du magasin) T’as vu la tronche des ploucs ? Ils n’ont jamais vu de bons d’augmentation !
(Balance lumière Entreprise HLLC)
Sociologue : Si vous voulez une explication un peu plus professionnelle : pour ce genre de « riches » les signes extérieurs de richesse ne suffisent plus à l’heure d’aujourd’hui…Même s’ils sont catholiques pratiquants, ou juifs ou musulmans, ils ne sont pas fous, ils savent qu’ils vont crever un jour…Tout s’est trop banalisé, alors il faut bien marquer sa différence…Sinon, à quoi ça sert d’être un méga-riche ? Hein ? Je vous pose la question…
Journaliste 1 : Et le s…
Journaliste 2 : Ta gueule avec ce saphir je t’ai dit !
Journaliste 1 : Non, je voulais dire : Et le supermarché ?...Chez Lecler, ça se passe comment ?
Sociologue : Tout d’abord il va sans dire que, pour l’instant, nous travaillons en partenariat privilégié avec un nombre réduit de magasins rigoureusement sélectionnés …Mais nous allons étendre nos offres…Quant aux supermarchés, il y a bien eu une tentative d’un client qui s’était trompé…Ils ont cru qu’il s’agissait d’un film ou d’une caméra cachée…
Journaliste 2 : Bon, eh bien, je crois que nous avons de quoi faire notre papier…On va y aller
Sociologue : C’était un plaisir…Oh, je sais ce que vous vous dites…Vous vous dites : « Ce sont des tarés vos clients »…Eh bien c’est justement là-dessus que repose le business-model de la boîte…Je n’y suis pour rien…Au-revoir (Il sort et rentre une technicienne de surface)
Journaliste 1 : (A la femme de ménage) C’est vous qui passez l’aspirateur ?
Technicienne : Non, moi je fais les vitres…
Journaliste 2 : Allez viens…(A la femme de ménage) Au-revoir madame. (Ils sortent)

(Balance lumière sur un yacht low-costé amarré à un ponton de Saint-Tropez, appartenant au Baron et à la Baronne De Lacroardière)
La Baronne : Nous avons les voisins à l’apéritif chéri…
Le Baron : Ah oui les angliches…Lord Greenbank et Lady Greenbank…
La Baronne : Ils ont gardé leur yacht d’origine, eux…
Le Baron : On va leur en mettre plein la vue ! C’est le moment de sortir le Château-d’yquem et le foie gras de HLLC
La Baronne : Quand même, là tu fais fort !
Le Baron : De toute façon ils n’ont aucun goût, comme tous les rosbifs !
Lady Greenbank : Good morning dear neighbours
La Baronne : Bonjour ma chère…Venez donc vous asseoir…Installez-vous et mettez-vous à votre aise…
Lady Greenbank : (Remerciant tout en trouvant le siège inconfortable) Thank you my dear…It’s a lovely day today, isn’t it ?
La Baronne : Euh yes…(Au baron) Elle ne parle qu’anglais…Tu vas pouvoir utiliser ton anglais low-cost…Ah mais voici Lord Greenbank…Venez nous rejoindre cher voisin
Lord Greenbank : (Il jette un regard circulaire) So this is it…(Puis il se met à parler un bon français avec un accent anglais) Voilà donc ce fameux yacht low-cost que votre femme voulait absolument nous faire visiter…
Le Baron : Oui ça ne paye pas de mine, mais c’est justement ça qui coûte cher…
Lord Greenbank : Ah oui le concept HLLC, j’en ai entendu parler…Au fait, j’ai garé ma Rolls derrière votre camionnette, mais ne vous inquiétez pas, je la déplacerai…
Le Baron : Vous voulez dire ma Bugatti-Veyron low-costée…(A la Baronne) Chérie sert le foie gras et le Château d’yquem
Lord Greenbank : Une Bugatti ?! On ne reconnait pas…(Il attrape la bouteille) Oh du sauternes, et pas n’importe lequel, avec du foie gras…Ce n’est pas de refus ! Vous les Français vous savez vivre et recevoir. (On les sert) Alors comme ça vous en pincez pour cette nouvelle mode du low-cost de luxe…(Il vomit discrètement par-dessus bord après avoir goûté ce qu’on lui a proposé)
Le Baron : Tout est low-costé ici…Encore un peu de foie gras et de sauternes ?
Lord Greenbank : C’est ce que je constate…Non merci, sans façon…Le boulaouane avec le pâté de chez Lidl, j’ai peur que ça ne me réussisse pas !
Le Baron : Et je ne vous explique pas ce que ça me coûte tout ça !
Lord Greenbank : Oui, « la peau du cul », je sais ! Remarquez c’est moins ostentatoire…Même les chaises…Elles sont encore moins confortables que celles d’Ikea…(Il s’aperçoit que sa femme boit trop de vin)
Lady Greenbank : This wine is very good ! And this foie gras, yummy !
Lord Greenbank : Oui, mais doucement darling
La Baronne : Yes, your mari a raison…Le boulaouane avec le soleil, euh…(Geste joint à la parole) Ze sun tape fort…Alors  mollo ! (Lady Greenbank se met à rire bêtement comme quelqu’un de saoul)
Lord Greenbank : Oh darling, come on ! (Il veut la relever, mais elle reste affalée)
Le Baron : Vous, ce que vous avez de low-cost, c’est votre femme…
Lord Greenbank : On s’en va, ça suffit ! (A sa femme) Let’s get out of here ! (Il la tire violemment de son siège)
Lady Greenbank : Why are you angry darling ? This wine is very good ! What’s the matter with you ?
Lord Greenbank : I’m sick of those bloody froggies with their fucking low-cost craps ! Let’s go now ! (Ils sortent)
La Baronne : Au-revoir chers amis…(Au Baron) Je ne sais pas si ça leur a plu…A elle oui, mais lui…
Le Baron : A 50000 euros l’apéro, il ne peut rien dire ! De toute façon tous ces rosbifs sont trop traditionnalistes pour comprendre…












DEGRIFF-PUB 24/24

Le patron du bar : (Qui fait aussi office de barman. Il salue trois clients qui rentrent) Salut René, salut Titine, salut Gégé…
René : Oh, ça a pas l’air d’aller Yvon…
Titine : Raconte à Titine ce qui te chagrine…Eh les mecs, vous avez vu, je fais des vers…
Gégé : Ouais c’est ça…Sers nous un verre Yvon…
Yvon : Vous savez pas ce qu’ils m’ont fait les enfoirés ?
René : Le concert des « Enfoirés », hier soir à la télé ? Ben quoi, c’était bien…
Yvon : Mais non ! Les enfoirés de la mairie et de la communauté de communes !
Les trois clients : (Ensemble) Qu’est-ce qu’ils t’ont fait les enfoirés ?!
Yvon : Ils ont donné leur accord pour qu’il y a un « Dégriff pub » qui se monte sur la ZAC
Gégé : C’est quoi un « Dégriff-pub » ?
René : Ah ouais à la ZAC de Glandville nord
Titine : Ah tu connais…Tu vas pouvoir nous expliquer
René : Ben déjà il faut prendre le bus. Après il faut marcher sur le bord de l’échangeur sur 300 mètres…Faut le vouloir son Picon discount !
Yvon : Ah t’y es allé alors…Tu me fais des infidélités !
René : Ouais mais ça m’a pas plu !
Titine : Vazy raconte !
Gégé : Fait soif !
René : Le Picon d’abord ! Eh ben c’était pas du Picon, c’était de l’Amer d’Orange ! Prix ou pas prix, c’est de la marque que je veux moi ! Et puis le serveur mes amis, eh ben c’était pas un serveur !
Titine : Une serveuse ?
Gégé : Un triso ?
René : C’était une voix !
Yvon : Une voix ?!
Gégé : Si ça se trouve t’étais bourré et c’était dans un rêve…
René : Non, je vous jure, il y avait un comptoir avec des tabourets, mais à la place d’Yvon y avait une machine avec un écran, une vitrine, un peu comme ton flipper ou ton juke-box Yvon

(Balance lumière Dégriff-pub)
René : Bonjour m’sieur-dames…Ah y a personne…Voyons, voyons, y a marqué quelque chose sur cet écran…(Il lit) Appuyez sur l’écran pour commencer…Bon j’appuie…
La machine : (La machine s’allume et parle. Voix un peu mécanique) Quel est votre nom ?
René : (Il dit son nom en avalant de travers ou en toussant) René
La machine : Je n’ai pas bien compris…Recommencez et articulez.
René : René !...Reu-né…René !
La machine : Qu’est-ce que je te sers mon petit René René René ?
René : (Surpris par le changement de ton de la machine) Euh…Qu’est-ce que tu me sers ? La main…Hin, hin, hin…(Il rigole tout seul de sa blague en avançant la main vers la machine)
La machine : Réponse incorrecte. (Changement de ton)

(Balance Lumière Bar Chez Yvon)
Yvon : Mon pauvre René ! Cette blague ça fait au moins vingt ans qu’on ne la sort plus… « Je te sers la main »
Titine : Attends, mais laisse-le raconter…
Gégé : Ouais et sers-nous à boire en attendant…
Yvon : Et donc la machine elle te parle, comme si c’était un vrai serveur…

(Balance lumière Dégriff-pub)
La machine : Réponse incorrecte je t’ai dit René René René, alors ?
René : Ah oui pardon. Un Picon-bière sans citron, s’il vous plait monsieur…
La machine : J’ai pas de Picon…J’ai de l’Amer d’orange, ça te va René René René ? C’est 1,50 euros
René : Oui monsieur, pas d’souci… A ce prix là
La machine : Tu introduis tes petites pièces dans la machine et je te sers…
René : Pas de problème monsieur (Il met les pièces)
La machine : (La boisson tombe) Tiens goûte-moi ça mon petit René René René
René : Aaahhh ! (Il boit) C’est pas du Picon, mais c’est bien frais et ça fait du bien par où ça passe !
La machine : (Se met à parler à René pendant qu’il déguste sa bière) Sinon quoi de neuf ? Tu traînes toujours dans le coin René René René ?
René : (Il se met à déblatérer) Ouais. Ben en ce moment y a ma belle-sœur, la Yolande, qu’est malade, alors je lui ai dit que j’irais lui faire ses courses, mais comme j’ai pas de bagnole...Ah parce que j’t’ai pas dit que je m’étais fait gauler…Les bâtards de flics ils m’avaient chopé avec 4 grammes en janvier et…(On entend un Bip dans la machine)
La machine : Fin de la discussion !

(Balance lumière Bar Chez Yvon)
Yvon : La machine s’est arrêtée de parler comme ça, d’un coup ?
Titine : Les machines c’est comme les gonzesses, il faut savoir leur parler…
Gégé : Mais foutez lui la paix ! Tiens bois un coup pour te remettre René…
René : Merci Gégé, t’es un vrai pote…Alors après y avait marqué : « Insert coin ». C’est de l’anglais…C’est mon cousin qui est allé jusqu’au brevet qui m’a expliqué…ça veut dire : « introduire une pièce », mais moi je le savais pas, alors je me suis énervé…
Titine : Oh et quand tu t’énerves !
Gégé : Et encore là t’avais bu qu’une bière !
René : Quand on fait du scandale, il y a un détecteur de scandale qui prévient les flics !

(Balance lumière Dégriff-pub)
René : (Il lit) Insert coin ? Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Tu vas voir ce que je vais t’insérer dans le coin moi ! (Il commence à taper dessus) Et ça et ça ? Je vais t’en boucher un coin moi, tu vas voir ! (On entend une sonnerie très forte…Puis une sirène de voiture de flics) Ah les flics maintenant !
Policier 1 : Alors on fait du scandale ?
Policier 2 : On l’a encore jamais vu ici celui-là !
René : C’est la machine qui veut plus marcher…
La machine : Salut les gars, je vous ai appelé parce que ce triste individu ne veut pas payer et en plus il va tout me casser !
Policier 1 : Bon, on l’embarque !
René : Bande de fumiers !
Policier 2 : On va te faire passer l’envie de faire du scandale, mon p’tit gars ! Allez en route vers la gendarmerie !
La machine : Merci les gars ! Je vous sers quelque chose ? C’est moi qui offre…
René : Fumiers !
Policier 1 : On est en service, mais on repassera tout à l’heure…(A René) Allez, dans le panier à salade !

(Balance lumière Chez Yvon)
Yvon : Ils t’ont gardé longtemps ? C’est pour ça qu’on t’a pas vu pendant deux jours ?!
Gégé : On se demandait bien ce que tu foutais…
Titine : Elle est comment la gendarmerie de la ZAC De Glandville nord ?
René : Eh ben vous savez pas la meilleure ? La gendarmerie de la ZAC, c’est une gendarmerie discount !...Si, si ! Ma parole !
Gégé : Et ça marche comment une gendarmerie discount ?
René : Il y a tout un tas de trucs sacrifiés…Par exemple y avait des grandes promos sur les outrages à agent, des déstockages massifs de sur les pv majorés, y avait des excès de vitesse à prix malin, et des gardes à vue formule club…C’est ce que j’ai eu !
Titine : Formule club ? Comme au Club Med ?
René : Euh…Pas tout à fait ! La « Formule club » ça comprend : une garde à vue, un dégrisement et un toucher rectal…Alors le lendemain ils m’ont dit : « Et n’y revenez pas ! » Et j’y reviendrai pas…
Titine : Ouais, ça donne pas trop envie d’y aller ! On va se contenter de notre petit commissariat de quartier où nous avons nos habitudes…
Gégé : Ouais buvons un coup à la santé de notre commissariat…
Yvon : Tout ça ne serait pas arrivé si tu t’étais contenté de fréquenter un établissement de qualité…Avec un patron qui sait encore payer sa tournée ! Allez, videz vos godets !
Gégé : Ouais, une conso payée = une conso offerte !
René : Opération coup de balai !
Titine : Tout doit disparaître ! (Ils boivent tous les trois)
René : Ah, ça fait du bien de se retrouver chez soi ! Le discount, c’est pas fait pour nous !



























UN TOUT PETIT RESTE C’EST DE LA LITTERATURE

Théo : Salut Noémie, je crois que j’ai trouvé une idée pour me faire du fric…Tu vas me dire ce que t’en penses…
Noémie : Ce que j’aimerais c’est que t’aies des idées pour me rembourser le fric que je t’ai prêté…Bon, ne fais pas la gueule, vas-y, déballe…
Théo : Je suis sûr que Twitter va m’acheter très cher le concept…Et pourquoi pas Facebook et les autres réseaux…
Noémie : Mon pauvre Théo, ils n’achètent pas n’importe quoi !
Théo : Ecoute plutôt…C’est un sketch de Fernand Raynaud sur lequel je suis tombé par hasard sur Utube qui m’a donné l’idée…
Noémie : Connais pas !
Théo : De la littérature discount, low-cost…Pour les nuls qui veulent étaler leur culture comme de la confiture en quelques clics
Noémie : Le sketch, qu’est-ce qu’il raconte ?

(Balance lumière sketch des oranges)
Le patron : Bon, je vous ai engagé pour vendre les oranges sur cet étal…Tâchez d’en vendre beaucoup. Vous vendiez du poisson avant, mais vous avez quand même l’habitude de la vente…Bon, je vous laisse, je repasserai voir comment ça marche…
Le vendeur : Bien patron…(Il se met à se parler) Voyons, je vais marquer sur mon ardoise : Ici on vend de belles oranges...(il ajoute) pas chères. Voilàààà ! (Il hèle le public) Qui c’est qui veut des oranges ?                                                                                                                                      Le patron : (De retour et lisant l’ardoise) C’est vous qui avez pondu ça ?                                                                           Le vendeur : Oui M’sieu le patron. Hi hi hi                                                                                                                        Le patron : Bon, donnez moi ça... (il lit) « Ici on vend de belles oranges pas chères ». Mmm mmm... Vous avez bien fait de marquer « ici », des fois qu’on pense que ce soit ailleurs... Vous ne voyez pas que c’est inutile le mot « ici » ?                                                                                                             Le vendeur : C’est vrai, j’ai mis « ici »... (il crache sur l’ardoise) Ptfu ! J’efface « ici ».                                                    Le patron : « On vend de belles oranges pas chères » Ils auront bien le temps de le voir, que c’est pas cher... Pourquoi vous avez écrit « pas chères » ?                                                                                                    Le vendeur : C’est vrai ! Ptfou, ptfou ! J’efface « pas chères ».                                                                                          Le patron : Donnez moi ça... « On vend de belles oranges » ... « on vend » vous aviez peut-être l’intention de les donner ? Mmm ?                                                                                                                                             Le vendeur : Nan !
Le patron : Alors pourquoi vous avez marqué « on vend » ?
Le vendeur : C’est vrai, hi hi ! Dire « on vend » !?  Ptfu, ptfu !
Le patron : « de belles oranges »... Quand on fait de la publicité, il faut en marquer le moins possible, de manière que ça frappe d’avantage l’imagination. Qu’est-ce que ça veut dire, ça,  « de belles oranges » ? Elles sont pourries vos oranges ?
Le vendeur : C’est vrai !
Le patron : Et ben, effacez « de belles » !
Le vendeur : C’est vrai, ptfu ! « de belles»...
Le patron : C’est des bananes, que vous vendez ?
Le vendeur : Nan, c’est des oranges.

(Balance lumière Théo/Noémie)
Noémie : Et alors ?
Théo : Eh ben chaque fois le vendeur il efface ce qui est en trop, pour qu’il ne reste plus que l’essentiel…
Noémie : Ah oui, ça j’ai compris…
Théo : Eh ben on fait pareil avec les grands textes de la littérature…
Noémie : Tiens là justement, pour ma dissert, je suis sur la « Madeleine de Proust », fais-moi une démonstration…
Théo : File-moi le texte…
Noémie : Voilà (Elle lui affiche le texte sur un ordinateur) Chauffe Marcel !
Théo : Pourquoi tu dis ça ?
Noémie : Proust, l’auteur, il s’appelait Marcel…C’est le fameux texte tiré de « Du côté de chez Swan »…Le fait de tremper une madeleine dans du thé déclenche des souvenirs…
Théo : (Il lit à haute voix) Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. On supprime Et tout d’un coup, ce n’est pas important, et on enlève m’est apparu, c’est sûr que c’est à lui et puis le souvenir ça apparaît dans le cerveau, ça disparaît pas ! On garde souvenir !
Noémie : Bon, si tu le dis…(Elle crache sur l’écran) Ptui ! Ptui !
Théo : Pourquoi tu craches sur l’écran ?
Noémie : Je fais comme dans le sketch…Bon, continue, je suis curieuse…
Théo : (Il lit) Ce goût c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul…Qu’est-ce que c’est long ! Elle n’en finit plus cette phrase ! (Il relit vite) Même si je relis vite, c’est trop long !
Noémie : Ah, ça c’est Proust, avec ses périodes, et encore, il y a plus long !
Théo : On garde madeleine. Tout le reste c’est inutile. Le goût par exemple, une madeleine ça se mange, alors ce n’est pas la vue ou l’ouïe, et la tata affalée dans son pieu ça pourrait être l’oncle ou un cousin. C’est comme la messe, on s’en fiche !
Noémie : Bon, d’accord ! (Elle crache) le goût, la tante, la chambre, la messe, ptui !Ptui !
Théo : Arrête de cracher, c’est dégueulasse ! Voyons la suite…(Il lit) Et dès que j'eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux), aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre, vint comme un décor de théâtre s'appliquer au petit pavillon, donnant sur le jardin, qu'on avait construit pour mes parents sur ses derrières (ce pan tronqué que seul j'avais revu jusque là) ; et avec la maison, la ville, depuis le matin jusqu'au soir et par tous les temps, la Place où on m'envoyait avant déjeuner, les rues où j'allais faire des courses, les chemins qu'on prenait si le temps était beau…C’est ouf ce truc ! D’abord il se répète, ensuite c’est quoi ce je susse et je dusse ?
Noémie : C’est le subjonctif imparfait, commandé par la conjonction « quoique ». Mais ça ne s’emploie plus !
Théo : Bon alors on l’enlève et tout le reste, la maison, la ville, la place, les rues, les chemins, et ben c’est des souvenirs, et on l’a déjà dit…
Noémie : C’est vrai, on l’a déjà dit, alors on l’enlève (Elle fait mine de cracher)
Théo : Et tu ne craches pas sur l’ordi…
Noémie : Ah oui pardon ! (Elle prend un produit pour nettoyer les écrans) Fui ! Fui !
Théo : Et ne te fous pas de ma gueule ! C’est sérieux ! Bon je finis…(Il lit) Et comme dans ce jeu où les Japonais s'amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d'eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s'étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l'église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé…Qu’est-ce qu’ils viennent foutre là les Japonais, je le connais même pas ce jeu… ? Bon il y a des touristes en pagaille à Paris, mais eux on les enlève…Après il reste encore des souvenirs…On garde le thé, c’est tout !
Noémie : Eh bien voilà ! On a fini pour ce texte !
Théo : Ça donne pour finir : Souvenir – Madeleine – Thé – Proust
Noémie : Ça fait trop style télégrahique, même pour Twitter…Je te suggère d’abord l’auteur : Proust – souvenir – madeleine trempé dans le thé
Théo : C’est super ! Merci Noémie…Mais une seule référence c’est peut-être insuffisant…Il en faudrait d’autres…T’aurais pas d’autres idées ?
Noémie : Victor Hugo ? Voyons qu’est-ce que tu vas faire de ce poème : « Après la bataille »
(Elle commence à réciter le poème dont elle se souvient)
Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d’un seul housard qu’il aimait entre tous
Parcourait à cheval, le soir d’une bataille,
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit…
Il doit me manquer un ver…
(Elle lit le poème qu’elle a fait afficher sur son ordinateur, avec le ton)
Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d’un seul housard qu’il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
voilà le vers qui me manquait
Parcourait à cheval, le soir d’une bataille,

Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il lui sembla dans l’ombre entendre un faible bruit.
C’était un Espagnol de l’armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu’à moitié.
Et qui disait: ” A boire! à boire par pitié ! ”
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit: “Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. ”
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l’homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu’il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant: “Caramba! ”
Le coup passa si près que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un écart en arrière.
“Donne-lui tout de même à boire”, dit mon père.
Théo : Ah ouais, mon grand-père il disait ça tout le temps : « Donne-moi tout de même à boire ! » Et il fallait voir comment il éclusait ! Il y allait à la manœuvre !
Noémie : Ton grand-père citait probablement Victor Hugo
Théo : Alors là ça donne : le père, c’est plus des japonais, c’est un espagnol maintenant, un pistolet, un canasson qui fait un écart, tout ça on s’en fout…Victor Hugo – bataille – donne-lui tout de même à boire.
Noémie : Parfait !
Théo : Wah ! La littérature discount, c’est géééniaaal !
Noémie : Au fait le sketch des oranges, il finit comment ?

(Balance lumière sketch des oranges)
Le patron : C’est des bananes que vous vendez ?
Le vendeur : Nan, c’est des oranges
Le patron : Alors, pourquoi y’a « oranges » ?
Le vendeur : C’est vrai, pourquoi y’a... Ptfu ! Bon, ben je vais aller revendre mon poisson ! Comme ça j’aurai pas besoin de le marquer.
Le patron : Pourquoi ?
Le vendeur : Ça se sent !

(Balance lumière Théo/Noémie)
Noémie : Il y a un comique de répétition, mais c’est surtout visuel…Fuuit ! Fuuit ! (Elle l’asperge encore avec le produit pour nettoyer les écrans)
Théo : Arrête ! Bon, on en a deux, mais c’est encore un peu léger…
Noémie : Alors rajoute : Rabelais – Gargantua – Le rire est le propre d l’homme
Théo : (Il répète) Rabelais – Gargantua – Le rire est le propre de l’homme…Super, ça le fait !
Noémie : Tu peux mettre aussi : Sartre – Huis clos – L’enfer c’est les autres.
Théo : Waah ! Trop fort ! Noémie, je t’adore ! A nous deux on va faire de grandes choses !
Noémie : Moi, je ne sais pas…., mais toi, mon petit Théo, t’iras loin !



















PERRAULT DISCOUNT

Le loup : Tu m’as appelé Charles ?
Charles Perrault : J’ai un petit problème…Tu es concerné au premier chef…Mais bon, tu ne seras pas tout seul…Je vais modifier un peu les histoires
Le loup : Charles Perrault, le grand Charles va changer ses histoires ?! Ne me fais pas saliver pour rien…
Charles : A ce stade je ne peux rien te promettre…On va voir

Une vieille nouvelle




DIX

K' 
T A T U R E S !



        LE FÂCHEUX DESTIN
de "PYGMÉE LÉON"
et de SON ROYAUME.

                      

Le petit prince aimait jouer avec ses poupées. Il était appelé à régner sous le nom de Léon X. Sa mère l'avait surnommé affectueusement " Pygmalion ". Mais il avait développé très tôt un caractère méchant et acariâtre tellement il était étouffé par elle. De surcroît, il était souffreteux et nabot. Les chansonniers et les troubadours, repris par les méchantes langues du royaume l'avaient affublé du sobriquet de "Pygmée Léon".
Il allait passer sa vie à se venger en faisant souffrir d'autres poupées, ses sujets.
Il commença par exclure les gens " petits " par la taille, même s'il étaient grands par le savoir ou le talent. Ils lui rappelaient trop son infirmité. Il les bannit du royaume et ceux qui eurent la mauvaise idée de vouloir rester ou ne purent pas fuir quand il était encore temps, se retrouvèrent dans ses geôles et furent probablement torturés ou moururent de faim et de désespoir. Si bien qu'il fut bientôt presque le seul "petit" individu du royaume.
Ensuite, dans sa folie et son besoin pathologique de se venger, il s'attaqua aux "grands". Là encore il ne s'agissait que des personnes d'une taille respectable, que l'on voyait parfois marcher d'un la rue avec un port altier et une fierté non dissimulée, se croyant à l'abri de l'ire  et de la démence du monarque. Eux aussi furent chassés, déportés, emprisonnés, parqués dans des camps où on leur fit subir les pires humiliations en même temps qu'on les tua et qu'on les extermina à des tâches surhumaines…Et l'on vit de bien tristes spectacles dans les rues et les lieux publics, de gens se courbant, se cassant en deux, déambulant avec des démarches grotesques, pour ne pas être enlevés par la milice.
Puis il s'attaqua aux femmes, toutes les femmes, laides, belles, acariâtres, sèches, bonnes, sensibles, douces, aimantes, à qui il supprima tous les droits et qu'il fit parquer comme du bétail, afin que la plupart d'entre elles servent seulement à la reproduction. Quant à sa mère, il la fit exiler fort loin, croyant qu'il se débarrasserait ainsi du poids qui le poussait de plus en plus vers une folie aveugle et rédhibitoire.
Toutefois, et il le savait, comme dans toutes les dictatures, une résistance, une armée secrète s'était formée, aussi bien, malgré les risques, dans son propre pays que hors des frontières. Et cela le rendait bien sûr encore plus méfiant, plus malade, plus fou et plus sanguinaire.
Dans ce qu'il restait des individus de son royaume, autrefois florissant et surpeuplé, il s'attaqua pêle-mêle aux riches, aux pauvres, aux gens de couleur, à certains corps de métier dont il se méfiait davantage, bref à tout le monde…
Le soir, il s'enfermait seul et jouait avec ses poupées…
C'est là que la résistance finit par trouver la faille et un de ses pantins-ministres, lassé de toutes ces années de furie, de mort,  et de dictature, empoisonna sa poupée favorite.
Il mourut dans d'atroces convulsions devant le regard impassible de quelques courtisans.
La république fut déclarée. Le pays mit plusieurs années à se relever de ses ruines.



















CELUI QUI DICTE




Il rentra au gouvernement par la petite porte, à un poste tout à fait subalterne…Petit fonctionnaire zélé, propre sur lui, des études honorables sinon brillantes, bien marié, des enfants inscrits à l'école privée, faisant de régulières apparitions à la messe, une vie de petit grand bourgeois bien réglée comme en aiment les électeurs bien pensants.
Un jeu de chaises musicales au gouvernement, à la suite d'une crise provoquée une nouvelle fois par ces étudiants rebelles, le propulsa à un poste à responsabilité auquel il n'était pas préparé. Il devint sinistre de l'éducation. Il s'était contenté de dicter quelques lettres à une secrétaire aussi veule que lisse, il se mit à édicter quelques réformes et quelques projets de loi…C'est à ce moment là que madame lui fit part de la mauvaise note en dictée qu'un professeur avait eu l'outrecuidance de mettre à leur fils. L'apprentissage de l'orthographe passa à la trappe… Dans son parcours politique il devint successivement sinistre des armées et sinistre de la justice édictant à chaque fois lois et règlements qui en faisaient grincer plus d'un.
Sarkozy sarkostique nicolas blog 2007 presidentielleIl devint ainsi une des cibles préférées de l'opposition…Cette ascension politique renforça son intransigeance naturelle, son égoïsme cynique et son égocentrisme à tout crin. Les arcanes du pouvoir lui apprirent aussi à se méfier de tout le monde et à ne compter que sur lui-même.
Quand le pays bascula dans le chaos politique, grâce à la rivalité et l'incompétence des Sarkopin, Villezy, Jean-Marie Stylo et autres Segolène Couscous devant le énième krach boursier, il apparut à certains comme l'homme providentiel…Il prit le pouvoir.
Fort de son expérience, et des liens qu'il avait tissé dans tous les sinistères, il ne mit pas longtemps à concentrer entre ses mains tous les pouvoirs, législatifs, exécutifs, militaires, policiers en prenant soin de s'entourer de conseillers et de collaborateurs pusillanimes et obséquieux, révocables à tout instant selon le bon vouloir et le fait du prince.
Il se mit à dicter et à édicter toute une batterie de lois propres à lui permettre de diriger le pays d'une main de fer, en éliminant toute forme de contestation politique, sociale, intellectuelle et philosophique, en réprimant toute tentative de transition démocratique ou putschiste du pouvoir…Il dicta et édicta à tort et à travers dans la plus pure démagogie engendrée par cet état de despote non éclairé, de tyran, de "Président" aux destinées d'une nation…
 Ainsi fallait-il que :
-         Les partis approuvent, ou partent, de préférence en exil…
-         Les hommes politiques restent polis et ne tiquent pas…
-         Les femmes pondent ou craignent l'infamie…
-         Les banquiers banquent…
-         Les commerçants commercent, même si ce n'est pas équitable…
-         Les consommateurs consomment sans lancer de sommation à cette société de cons…
-         Les professeurs professent..ce que les programmes préconisent, sinon gare à leurs fesses.
-         Les juges jugent…avec jugeote…
-         Les avocats se défendent bien de défendre ce qui est défendu…
-         Les pdg pédègent, mais craignent pour leur bonne fortune…
-         Les ouvriers ouvrent et la ferment !…
-         Les petits patrons entreprennent et payent leurs taxes…
-         Les chefs de tous ordres ( de gare, d'établissement, de chantier, etc…) restent petits…
-         Les scientifiques sachent bien que science sans conscience n'est que ruine de l'âme…
-         Les riches soient "pétés de thunes", mais évitent de trop "se la péter"…
-         Les pauvres aillent à la messe…
-         Les militaires contrôlent et ne militent pas…
-         Les artistes artent bien, artent officiel…
-         Les peintres peignent "bien", sous peine de se faire démolir le portrait…
-         Les sculpteurs sculptent et érigent de nombreuses statues à ce culte du "Président"…
-         Les architectes architectent tout avec l'aval du pouvoir…
-         Les dessinateurs dessinent et se méfient de ses noirs dessins…
-         Les caricaturistes caricaturent tout sauf sa tête pour sauver leurs têtes…
-         Les plasticiens plastiquent en solitaire, mais sans trop se marrer…
-         Les designers designent sans être désignés à la vindicte…
-         Les stylistes stylent en suivant la mode officielle…
-         Les acteurs actent et prennent acte de leur rôle important mais toujours contrôlé…
-         Les metteurs en scène évitent de mettre en scène leur propre déchéance…
-         Les filmateurs filment et abrutissent le bon peuple avec des histoires qui finissent bien…
-         Les chanteurs chantent les chansons qui ne font pas déchanter le "Président" et le public...
-         Les monstres sacrés du chaud biz lui baisent les pieds pour les lui tenir au chaud…
-         Les présentateurs de télévision soient les véritables porte-parole du gouvernement…
-         Les censeurs censurent et encensent le gouvernement et son "Président"…
-         Les conteurs content les bons contes qui font les bons amis…
-         Les poètes poètent en vers et contre tous, sauf contre le "Président"…
-         Les humoristes ne jouent pas avec les mots, ou en meurent comme Raymond Devos…
-         Les écrivains écrivent en utilisant la "bonne parole"…
-         Les penseurs tournent sept fois leurs neurones avant d'émettre la moindre pensée… 
-         Les blondes ne pensent pas…
-         Les touristes dépensent, sans compter, et s'en aillent…
-         Les infirmières pansent les nombreuses plaies, sans s'occuper de celles de la société…
-         Les jeunes jeûnent malgré leur faim et leur soif de vivre…
-         Les vieux meurent en laissant  à l'état de nombreux droits de succession…
-         Les étrangers aient bien conscience du caractère fragile de leur condition sociale…
-         Les juifs circoncisent leurs critiques et se souviennent de la shoa, c'est là leur seul choix...
-         Les arabes le vénèrent comme le seul prophète…
-         Les beurs ne mettent rien dans les épinards…
-         Les antisémites antisémitent, un point c'est tout…
-         Le Front National n'ait pas le front de le contredire…
-         Les protestants protestent en silence…
-         Les catholiques croient en dieu, mais ne se croient à l'abri de rien…
-         Les témoins de Jehova témoignent de leur attachement à la "Présidence"…
-         Les immigrés migrent quand il le faut…
-         Les banlieues restent loin des centre-villes…
-         Les gays et les zomos disparaissent à tout jamais…
-         Les psychologues psychent sans se poser trop de questions…
-         Les sociologues sociolent sans poser trop de questions à la société…
-         Les philosophes philosophent en remettant en cause Darwin…
-         Les psychanalystes psychanalent uniquement pour faire du pognon…
-         Les docteurs doctent et soignent d'abord le "Président", ensuite les autres…
-         Les malades acceptent la médecine à deux vitesses, et même avec la marche arrière…
-         Les aveugles ne voient pas le bout du tunnel…
-         Les sourds n'entendent rien à toutes les nouvelles réformes…
-         Les handicapés ne bloquent plus les ascenseurs et les bouches de métro…
-         Les sportifs gagnent quand ils représentent leur pays…
-         Les supporters s'égosillent comme des bêtes et supportent tout le reste sans rechigner…
-         Les grosses bites ne s'enorgueuillissent pas trop, un impôt étant en préparation…
-         Les petites bites travaillent sans relâche à la reproduction…
-         Les putes cent fois sur le plus vieux métier du monde remettent leur ouvrage…
-         Les fils de putes d'étudiants étudient ce qui est au programme et rien d'autre…
-         Les blagueurs blaguent en se limitant au cul, aux blondes, et aux étrangers…
-         Les blogers bloguent en s'autocensurant…
-         Les internautes surfent sur la vague des nouvelles technologies hautement filtrées…
-         Les sdf ne soient jamais fixés sur leur sort…
-         Les flics fliquent, tabassent et mettent tous les opposants en prison…
-         Les gardiens de prison fassent croupir tout ce joli monde dans des prisons vétustes…
-         Les indics-tâteurs enfin tâtent le terrain en permanence et reniflent, subodorent, localisent, dénoncent, livrent tous les mal-pensants, contestataires, libres penseurs, démocrates, anarchistes, iconoclastes, prosélytes pour tuer dans l'œuf toute menace de changement, rébellion, évolution, révolution, perte du pouvoir absolu.
L'exploitation systématique des rancoeurs nationalistes, des difficultés économiques et sociales, de la division des opposants en exil, permit au dictateur de continuer à dicter et édicter des lois, règlements et codicilles de plus en plus scabreux et contraignants tout en se maintenant au pouvoir…Et comme pour Franco, ou Castro, on fut obligé d'attendre qu'il meure pour que le pays des droits de l'homme retrouve les libertés les plus élémentaires et une stabilité démocratique.
Il reste de nos jours quelques nostalgiques de cette dictature, mais ils sont fort heureusement une poignée.




SON OF A BEACH



Henri s'ennuyait ferme à la poste de Gemozac. Le receveur n'était pas là, ses collègues étaient partis en vacances. Il avisa une vieille lampe poussiéreuse qui traînait sur une étagère de la réserve. Il la prit entre les mains. Elle pesait quand même son poids. Ce n'était pas une lampe très originale. On en trouvait des quantités industrielles dans les foires à la brocante et Henri jugea inutile de la subtiliser pour essayer de la vendre. Un client entra dans la poste, il reposa la lampe…Quand il en eut fini avec le client, il revint dans la réserve et empoigna de nouveau la lampe, puis se munit d'un chiffon pour l'essuyer consciencieusement…Tout à l'heure, la vieille dame l'avait regardé d'un air choqué quand il l'avait servie avec des doigts pleins de poussière. Puis il entreprit de la faire briller et se mit à frotter énergiquement. C'était le premier travail pénible qu'il effectuait depuis longtemps dans le bureau de poste…Et tout à coup le miracle se produisit. Il y eut un flash et puis une grosse fumée envahit le réduit, fumée qui piquait les yeux et obligea Henri à fermer les siens. Quand il rouvrit les yeux un personnage flottait dans l'air, immense et tremblant, non pas de peur mais comme dans les dessins animés en 3d. Henri était en train de faire connaissance avec un génie, ce qui, il faut bien le reconnaître, n'était pas donné au premier venu. Pourtant ce génie ne correspondait pas du tout à l'image qu'on en donne dans l'imagerie traditionnelle, ou dans les films pour enfants.
Point de turban ou de costume chamarré brillant de mille feux sous les rayons de soleil. Cet Aladin charentais portait le béret et avec sa baguette de pain sous le bras et sa paire de boules de pétanque à la main, il avait l'air d'un plouc. Mais Henri évita soigneusement de lui en faire la remarque.
Bien évidemment, le génie entreprit de le remercier, ce qui était bien le moins qu'il pouvait faire et tint à Henri à peu près ce langage…: Qui que tu sois, je te re..
"Je m'appelle Henri" dit Henri
" Peu importe ton nom ! Ecoute-moi plutôt, chanceux mortel, je suis le génie des lampes des réserves de bureaux de poste et je te remercie de m'avoir délivré de mon sort…" Il y avait donc bien un génie des bureaux de postes et Henri était bien content de le savoir, car les autres personnes qu'il y côtoyait étaient loin d'être des génies. De plus Henri venait d'apprendre qu'il était mortel, mais chanceux, la suite ne pouvait donc qu'être alléchante.
" Tu as droit à trois vœux, mortel chanceux…Utilise les avec sagesse et circonspection."
Comme Henri ne bougeait pas, pétrifié par l'enjeu, et se demandant si tout compte fait il ne rêvait pas, car Henri était loin d'être un imbécile, le génie ajouta: " J'ai attendu trop longtemps dans cette lampe, alors active un peu si tu veux bien,…au fait il y a bien un concours de boules dans le canton?...Alors, quel va être ton premier vœu ? "
Henri parcourut du regard la réserve sinistre et dit : " Je voudrais être sur une île déserte, avec des cocotiers, du sable doré et l'eau transparente d'un lagon, comme on le voit dans certains films." Henri aimait le dépaysement.

Le génie le regarda, attrapa une bouteille de pineau sur une étagère, celle qu'on gardait pour les anniversaires et les fêtes, avec des cacahuètes qui devaient être rassies, et après une bonne lampée dit : " Accordé ! " Et pouf!!!! Henri se retrouva là où il l'avait demandé…Il tâta le sable, puis se déshabilla comme un fou, se retrouva en short, Henri portait des shorts et non des slips, et plongea avidement dans l'eau bleu-verte du lagon.
Pendant ce temps le génie, en marcel un peu crado, avec une transpiration sous les bras propre à éloigner les moustiques les plus coriaces, attendait qu'Henri ait fini son bain. Quand ce dernier sortit inopinément, croyant avoir vu un barracuda, on n'est jamais trop prudent, il l'invectiva : " Dis, j'ai un peu chaud là…Ton deuxième vœu ? "
" Ah oui, c'est vrai…" dit Henri, qui avait complètement oublié. " Heu, voyons…" fit-il entièrement dégoulinant " Je voudrais être entouré de super belles nanas, folles de mon corps."
Le génie marqua une pause, due probablement au fait qu'il doutait que des nanas puissent être folle du corps d'Henri, sans un sérieux coup de main de la magie qu'il pouvait lui dispenser. Soupirant un bon coup, il lui dit : " Henri, Henriiii, tu me déçois. Bien sûr que je peux concrétiser tes aspirations, mais profites-en pour demander quelque chose de grand, d'exceptionnel ! Enfin Henri, grandis-toi, gonfles-toi, surpasse-toi !!!"
Un éclair de folie passa comme un voile dans les yeux d'Henri. " Je voudrais régner en maître absolu sur ce territoire ! " Et dans un élan poétique qu'on ne lui avait jamais connu, il ajouta : " Je veux qu'on m'appelle Le fils de la plage !"
" Ah, voila qui est bien mieux ! " dit le génie, qui se demanda tout de même ce que le receveur de la poste de Gémozac avait pu faire endurer à ce pauvre Henri. Le reste se déroula comme dans un bon ou un mauvais film, selon les penchants cinéphiliques de chacun.
Un magnifique palais apparut, avec pour l'occuper tout un aréopage de serviteurs plus ou moins fidèles, de ministres plus ou moins véreux, de superbes filles qui n'avaient pas été                               oubliées et qui faisaient subir à Henri les outrages les plus alambiqués, au risque de fatiguer son cœur. Pour nourrir, divertir cet aréopage et faire fonctionner le tout correctement, une horde de commerçants, de paysans, d'ouvriers, de cadres plus ou moins supérieurs, de techniciens, apparut dans le paysage. Tout cela engendra une pollution et une instabilité politique qui défigura le paysage durablement. Cela demanda surtout beaucoup de travail à Henri, qui fut obligé de courtiser certains, d'en emprisonner d'autres, de se méfier de tout le monde, d'édicter force lois et règlements de plus en plus autocratiques. Ce n'était pas une mince affaire que d'être un monarque absolu et peut-être hors de portée d'Henri. Pourtant, il essayait, essayait, il contrôlait toutes les intrigues, toutes les mafias, parquait tous ceux qui n'avaient plus sa confiance dans des geôles infâmes. Il baisait, mais surtout essayait de ne pas se faire baiser, il taxait, censurait, exilait, fomentait, arrêtait, condamnait arbitrairement, décidait, refusait toutes négociations et critiques et finissait épuisé le soir, s'endormant en faisant de terribles cauchemars.
Au bout de quelques temps, le génie, fatigué de jouer à la pétanque avec toujours les mêmes adversaires qui le laissaient gagner, vint voir Henri le monarque absolu. Il le surprit à un moment où il était extrêmement fatigué : " Dis, Henri, fils de…"
" Sire ! " répondit Henri.
" Oui, pardon Sire ! Si on parlait de ton…, pardon de …votre troisième vœu !"
" Ah, mon bon génie, j'ai trop de travail, trop de travail, tout cela m'épuise…J'en ai assez, assez ! Je ne veux plus travailler ! "
" Accordé ! " dit le génie…Et pouf!!! Henri se retrouva à la poste de Gémozac…Ainsi en allait-il de son destin.
On ne sait trop ce qu'il advint du génie, mais, bien que Gémozac ne se trouve pas en Provence, il y avait en Charente-maritime suffisamment de clubs de pétanque pour l'occuper un bon moment.




    


































 PETIT  ŒIL

Petit œil s'ouvrit au monde et décida de partir voir ce que les hommes en avaient fait. Sa maman lui avait dit : " Va, vis et deviens ! " Elle lui avait fait de nombreuses autres recommendations. Une maman reste toujours une maman. Elle lui avait dit aussi de ne pas se mélanger avec ceux qui vont par deux, ceux qui ne se séparent jamais, sauf incident, de leur alter ego, ceux qui pétillent ensemble, ceux qui pleurent ensemble, bref ceux que l'on nomme les yeux….Non, lui était unique et tel était son destin et c'était dans ce caractère unique qu'il lui fallait trouver sa voie.
Il rencontra le Mauvais Œil, qui lui raconta de bien tristes histoires. Des histoires de vengeance, de mesquinerie, de bassesses, de vindictes, de mauvais sorts jetés sur des êtres fragiles et désemparés. Il aurait bien voulu céder sa place à Petit Œil, car, disait-il, il se faisait vieux et commençait à manquer d'imagination, mais Petit Œil déclina l'offre et dontinua ses pérégrinations de par le vaste monde. D'autant plus qu'il voyageait à l'œil.
Un beau jour il rencontra Salvador. Ce dernier venait de finir son tableau et dans une de ses terribles colères dont il avait le secret, il s'apprêtait à l'éventrer, le déchirer, le brûler. Petit Œil trouvait le tableau plutôt joli et original, et d'un seul regard arrêta la main de Salvador. Ce dernier s'effondra sur sa chaise, se prit la tête entre les mains, regarda à son tour Petit Œil, puis son tableau, et il s'agenouilla devant Petit Œil pour le remercier. Il lui proposa de rester avec lui. Il avait besoin, disait-il, d'un œil neuf pour pallier aux insuffisances de l'œil du maître. Mais Petit Œil, préféra continuer son chemin. Il promit à Salvador de ne pas collaborer avec Pablo, ni avec Anton et Joan.
Un œilleton rencontré par hasard devant une porte, lui proposa de se ficher dans la porte d'a-côté. Il lui tiendrait ainsi compagnie quand il n'y aurait point de concierges, de représentants ou de voisins à dévisager et à surveiller. Mais Petit Œil qui commençait à en avoir vu de toutes les couleurs, lui dit qu'il s'en fichait. L'autre lui répondit que s'il le prenait sur ce ton, il pouvait passer son chemin. L'oeil de la caméra essuya le même refus…C'est que Petit Œil commençait à avoir de l'expérience. Petit Œil devenait grand.

Certains prétendaient l'utiliser pour aller observer les femmes nues sous la douche, et dans des gymnases fétides et puant la sueur de surcroit. D'autres voulaient l'empêcher de se fermer à la lumière pendant des nuits entières, des timides auraient bien aimé qu'il détourne le regard de la belle qu'ils convoitaient, mais à chacun il opposait une résistance têtue, quoique bienveillante. Tout cela n'était pas de tout repos, et maintenant Petit Œil atteignait une certaine maturité. Il avait grandi à vue d'œil, mais il continuait à s'appeler Petit Œil parce que ce sobriquet lui plaisait.
Un jour, tout a fait par hasard, au cimetière de Peypin d'Aigues dans le Vaucluse, il rencontra l'œil de Caïn. Ils prirent un petit moment pour discuter. L'œil se plaignait beaucoup de l'inconsistance de Caïn qui ne daignait pas le regarder. La culpabilisation  de ce dernier était du coup hasardeuse. L'œil avait donc envie de changer d'horizon…Par contre il ne supportait pas la réverbération du soleil de Provence et il demanda à Petit Œil s'il n'avait pas un verre de lunette noire. Petit Œil lui répondit que Afflelou était fou, mais pas au point de faire des lunettes à un seul verre pour les rares cyclopes susceptibles d'être clients.
Ce n'était pas assez rentable. En même temps notre œil aimait bien son caveau, où il avait  ses petites habitudes, et où une douce fraîcheur régnait…Il avait aussi peur du nouveau, peur du changement d'air et du changement d'ère…Bref, le type compliqué qui ne sait pas ce qu'il veut. Petit Œil le laissa déblatérer et radoter tout seul et ne s'attarda pas en sa compagnie.
C'est à ce moment là qu'il rencontra "Big Brother" Il ne s'agissait ni plus ni moins que de surveiller tout le monde et le tout un chacun partout dans le pays, sur la terre et dans les airs, à tout heure, à chaque seconde, où qu'il soit, quoiqu'il fasse, quoiqu'il dise, quoiqu'il pense…Petit Œil, doutant d'être capable de mener à bien une telle mission, ne voulut pas prendre de telles responsabilités. Mais Big Brother insista et Petit Œil tomba dans le piège.
Celui de la flatterie. Et on avait dit beaucoup de bien de lui et on le lui avait recommandé, et il avait tant de qualités, dont la principale était d'être tel le caméléon.
" Voila ce que je te propose, je te fais en sorte le gérant de mon entreprise. Je te donne un code source et tu rentres partout, tu t'insinues partout, tu surveilles tout…"
" Encore des femmes nues sous la douche ?"
" Big Brother est vieux, mais il n'est pas libidineux ! Il veut simplement que chacun ait conscience qu'il n'est pas libre sur cette terre ! Voila comment tu vas faire…Tu vas percer un trou dans chaque habitation, chaque maison, chaque appartement, chaque pièce…" Petit Œil pensa immédiatement à son copain l'œilleton qui pourrait lui rendre service…"…et t'y démultiplier, tu vas te ficher dans le mur et y rester comme une sorte de miroir…
Mais pas n'importe quel miroir…Un qui leur renvoie leur culpabilité s'ils ne pensent pas comme il faut, qui leur renvoie la laideur de leur non-conformisme, de leur iconoclastie, de leur libre-arbitre. Quand ils le regarderont, ils seront laids ! D'ailleurs on appellera ça la :
 "T'es laid-vision"! Ils auront toujours le choix d'allumer un programme que ton iris diffusera qui leur fera oublier tout ça. Un programme fait d'informations, d'animations, de jeux, savamment choisis et censurés pour les abrutir et les empêcher de penser. Un de mes illustres prédécesseurs, Julius Caesar appelait ça : "Panem et circenses". Tu y perd ton latin…" Du pain et des jeux ". Ainsi seront-ils prisonniers de mon modèle parfait.
" Ils n'auront jamais envie de changer de chaînes ? C'est pourtant le propre de tout individu emprisonné pour ses idées et non pour ses actes répréhensibles…"

" Je compte sur toi pour qu'il n'en  soit jamais ainsi. Soit imaginatif et crée leur des rêves, des fantasmes, des illusions qui le leur fasse oublier ! "
Petit Œil ne comprenait pas grand-chose à la politique, mais il sentit tout de suite le côté malsain et psychopathe de l'entreprise. Il s'éloigna de ce grain de folie.
Mais un autre grain l'attendait. Un jour Petit œil fut pris dans un cyclone, y joua un rôle prépondérant et comme Molière mourut sur scène.
Petit œil demanda  au cyclone comment il s'appelait. C'était une fille cyclone. Je, je, je…commença la cyclone et le reste se perdit dans une bourrasque particulièrement violente qui faillit éjecter Petit Œil au loin. Quoi…?, demanda Petit Œil en se rééquilibrant et en se lovant au centre, bien au chaud comme dans une matrice…M'appelle, m'appelle, m'appelle…souffla la cyclonette de plus belle. L'effet d'écho faisait une impression bizarre dans le déchaînement des éléments…Amandine, Amandine, Amandine…s'entêta à répéter la sauvageonne. Ça va, j'ai compris…répondit Petit Œil…Et où te rends-tu ainsi galopante Amandine ?...Dévaster certaines contrées, car tel est mon destin…Petit Œil réussit à amadouer Amandine, pourtant fort têtue, et ils allèrent mourir ensemble sur l'océan, provoquant seulement une tempête de tous les diables.
   










SOUTE  STORY



Le sac à dos, enturbanné, bien enroulé dans sa gangue de rouleau adhésif, tomba dans la soute au milieu de centaines de congénères. " Où suis-je ? " s'enquit-il immédiatement.
Une valise au ton un peu rogue qui se trouvait juste à côté de lui, l'apostropha : " Epargne nous les Qui suis-je ? et les Où vais-je ? existentiels. Regarde dans quel état tu erres ! "
Le sac à dos n'errait plus, mais était dans un état assez lamentable, cul par-dessus tête, position fort désagréable s'il en est. Il n'eut pas le temps de demander à ce qu'on le retourne, qu'un autre sac à dos, beaucoup moins fringant et présentable que lui le heurta en haut de la pile et le fit dévaler jusqu'en bas, ce qui eut pour effet de le remettre dans une position plus conforme au bien-être. La petite valise de tout à l'heure l'avait suivi dans sa chute et gisait à ses côtés.
Sous ses airs peu avenants, elle lui était sympathique. Elle ne payait pas de mine, une prolétaire égarée dans ce capharnaüm. Quant à lui, bien que de fabrication noble, il n'avait pas le sens aigu d'un élitisme méprisant. Il en avait vu d'autres, et de toutes les couleurs, alors…
" T'es là depuis longtemps ? " fut la première phrase sensée qui lui vint à l'esprit dans une telle situation. " Un certain temps ! " répondit amèrement la petite valise. C'est là que le sac, qui n'avait jamais quitté son dos ou son placard, comprit que la situation s'avérait compliquée.
"Je ne sais pas quel est ton but dans la vie, mais pas le rebut !"
"Et c'est le but !" hurla un sac de sport fatigué. Fatigué, non pas par un exercice constant et soutenu, pas au sens propre du terme, mais fatigué sous toutes les coutures.
" Il hurle souvent comme ça ?"
" On devient tous un peu fous ici, tu verras ! " Et cette petite phrase ne présageait rien de bon.
" On veut sortir ! " Les culottes enfermées dans notre sac à dos, faisaient presque autant de bruit que le sac de sport, supporteur d'une imaginaire partie de soccer, supporteur d'une hystérie à laquelle ils étaient tous confrontés à un moment où à un autre…
Une nouvelle série de valises et de sacs balancés par une trappe vint heurter notre sac à dos, dont une boucle se défit. Comme l'autre boucle avait précédemment souffert au cours de pérégrinations par le vaste monde, cela eut pour effet de faire se rabattre le revers du haut,  libérant ainsi les culottes que l'on avait entendues se plaindre auparavant.
" Ah, un peu d'air " dit l'une, " Ce n'est pas trop tôt " dit l'autre…" Ah, ah, les strings sont restés à l'intérieur ! " ajouta la première…" Il ne faut pas perdre le fil des évènements ! " ricana l'autre. Un long enfermement les rendait très prolixes. Puis une main apparut quand une trappe s'ouvrit et les deux petites culottes disparurent subitement et tous les bagages présents crurent entendre des bribes de conversation où l'on pouvait distinguer : " Qu'est-ce que t'as trouvé ? " ou encore " C'est ma femme qui va être contente ! ".
Mais le sac à dos avait d'autres chats à fouetter et, malgré la perte d'une partie de son chargement, il lui fallait prendre son destin en main….Il n'avait pas été sans remarquer que la pile se creusait à un endroit et qu'elle se reformait un peu plus loin en un tas un peu plus harmonieux, ou bien rangé si l'on préférait. De belles valises rutilantes, aux couleurs blanche immaculée, ou noir anthracite très sobre semblaient attendre un départ imminent, comme sur un quai de gare. " Qui sont celles-là ? " demanda-t-il à la petite valise.
" Ah, les Samsonites*, inutile de leur adresser la parole, elles ne te répondront pas ! Ce sont les privilégiées, les bourges…La plupart du temps on vient les récupérer. Celles que l'on laisse moisir ici sont très vexées !
" Eh ben, c'est pas compliqué, il faut aller de leur côté ! "



" Ah !!! Le sans-culotte est un révolutionnaire ! " Ainsi parlait un espèce de besace qui, au premier abord, ne payait pas de mine.
" Qu'est-ce qu'il veut celui la ? "
" T'inquiète pas ! Un vulgaire sac d'étudiant..Il y a bien longtemps qu'on lui a pris son ordinateur portable, mais il lui reste les dictionnaires et les livres savants. Monsieur fait son érudit !...Au début on a pu écouter un peu de Bob Marley sur son walkman, mais maintenant les piles sont foutues…"
" Nous sommes tous foutus ! "
" Encore un étudiant ? "
" Un anarchiste ! Il a été posté à Katmandu ! Il délire ! Personne ne peut le sentir ! "               Il empestait pourtant encore le patchouli mélangé à une odeur de mauvaise sueur et de putréfaction… Le sac à dos en avait assez vu et assez entendu et il prit les choses en main.
" Bon, je ne supporte pas l'arrogance de ces samsonites. Nous allons les éliminer, et pour cela les étouffer en les faisant disparaître. Et pour cela, nous allons changer de pile et nous mettre au dessus d'elles, les recouvrir, les enfouir, les enterrer comme des cloportes. De sorte que lorsqu'un employé modèle d'un aéroport modèle, c'est-à-dire quelqu'un de bien fainéant, incompétent et désabusé sera chargé des les récupérer, il ou elle renoncera devant le mystère de leur disparition et les assurances se chargeront du reste ! "… Le sac à dos en savait long sur les affres de la nature humaine et le fonctionnement des aéroports.
De nombreuses valises, sacs, paquets, bagages frustrés de toutes sortes, suivirent ses conseils, conseils qui se muèrent vite en ordres, parfois péremptoires ! Il avait de surcroit réponse à tout. " Tu ne manques pas d'assurance " lui disait-on.
" Si, justement, et c'est pour ça qu'on ne vient plus me chercher ! "
Les nouveaux arrivants étaient enrôlés malgré eux, et une horde de bagages finit par déferler, à force de reptations, glissements, éboulements, sur les samsonites qui disparurent comme il l'avait prévu….Lui, trônait toujours au dessus de la pile.
Un bagage en cuir un peu désuet, mais qui connaissait la vie, eut l'outrecuidance d'émettre des réserves sur sa stratégie ( en avait-il seulement une ? ) et sur sa philosophie. Par bonheur le sort s'en mêla et on vint chercher la valise patinée, éliminant ainsi un adversaire potentiel.
D'autres remuèrent certains souvenirs nostalgiques, comme celles de ces deux culottes, évadées de la contenance du chef, qui devaient maintenant couler des jours heureux sur les fesses d'une plantureuse brune.
Le chef se fit un devoir de leur gâcher ces évocations, ces envie de liberté et de changement en leur rappelant les dangers et les sévices auxquels ces pauvres sous-vêtements ne pouvaient pas manquer d'être confrontées : urine, miasmes, pertes blanches, pertes brunes, pertes noires, règles abondantes, flux incontrôlés, poils rebelles, pillosités excessives,compressions de jeans trop serrés, œillades abusives de machos invétérés au moment de décroisement de jambes, passages fréquents en machines du diable, eau de javel, assouplissants divers, pinces à linge sadiques, séchages atroces sur radiateurs brûlants, et il en passait et des meilleures !...........
Il réussissait à maintenir tout le monde dans un état de dépendance psychique et morale pour asseoir sa suprémacie. Et il fallait dire qu'il s'y entendait.




Ndla : prononcer Samsonaïte.



Certaines valises, bien que n'étant pas des samsonites, nous dirons d'extraction plus modeste, avaient du mal à accepter l'hégémonie d'un sac à dos. Il y eut une période où elles firent mine de faire bande à part, ou de ne pas répondre aux injonctions et autres mouvements de masse, destinés à établir une nouvelle hiérarchie, sous prétexte de se débarasser d'une précédente, sois disant plus contraignante. Elles ne versaient pas dans cette démagogie et cette hypocrisie. Par contre, elles versèrent rapidement dans le fond d'une faille, pour être rapidement recouvertes et muselées, grâce à des mouvements intempestifs générés par des sac à dos, point trop intelligents mais costauds et sportifs, à la solde de notre despote, on pouvait bien l'appeler comme ça maintenant.
Il sut diviser pour régner, il sut ménager les uns et les unes, mettre plus bas que terre les autres, au sens propre comme au sens figuré, renverser les alliances en même temps que les piles, organiser quelques petits spectacles de mise à mort pour calmer la vindicte du vulgus pecum, censurer les walkmans rebelles et insidieux à l'aide d'une pile qui s'effondre au bon moment avant que leurs piles ne soient foutues, avoir toujours un subordonné prêt à remplacer un autre subordonné au sein de la subordination directe qui le maintenait à la tête de cette hiérarchie savamment organisée.
Certains se disaient, que trônant ainsi en haut de la pile, une main, charitable pour eux, finirait par le récupérer et le rendre à son propriétaire, mais les jours passaient et les hommes de main de l'aéroport l'ignoraient, ignorant également le calvaire de tous les autres.
Il fallut pour le déboulonner attendre l'arrivée d'une grosse malle. La trappe s'ouvrit et comme la malle était très lourde, elles lui tomba dessus de tout son poids, le faisant basculer tout au fond de la poussiéreuse réserve.
" Je vous ai fait mal ? " lui cria-t-elle, désolée.
" Vous ne croyez pas si bien dire ! " dit un sac à dos qui voulait devenir calife à la place du calife. Et à son signal des piles s'effondrèrent sur le calife, scellant ainsi son destin…De nombreux walkmans se mirent à jouer une musique gaie…
L'histoire ne dit pas si la malle prit sa place grâce à sa légitimité de libératrice du royaume.
Par contre des milliers de passagers continuent à transiter dans cet aéroport.









LA LÉGENDE de PETIT DOIGT

Maman Pouce disait toujours : Mon petit doigt m'a dit…Il faut dire qu'elle était très fière de lui et qu'elle parlait tout le temps de lui, si bien qu'on prit l'habitude de l'appeler "Petit doigt", même quand il fut devenu grand. Sa maman disait encore des choses comme : " Mon fils sera un touche-à-tout! ", ou bien " Le monde est un grand livre ouvert sur la vie "
Quand sa maman ne fut plus là, Petit doigt, très touché, décida d'aller à la rencontre de quelques pages de ce grand livre…Son sens tactile prenait le pas sur tous ses autres sens, pourtant en éveil, et lui servait de boussole.
Petit doigt parcourut de nombreuses pages…Certaines le prenaient pour un journaliste qui devait rendre son "papier" tous les soirs, d'autres pour un typographe tatillon, et quelques unes pour ce qu'il était vraiment : un aventurier qui voulait effeuiller le monde comme une vulgaire strip-teaseuse.
La page de garde essaya de tromper sa garde. C'était une belle page parcheminée et richement décorée à la feuille d'or. Petit doigt n'avait pas besoin de pierre de touche pour essayer l'or et l'argent, il ne fit qu'effleurer la belle, qui en fut pour son argent.
Sans tomber de Charybde en Sylla, il rencontra la très drôle Yoko et ses origamis. Cette dernière, qui essayait de se mettre en quatre pour lui, fut très vexée de le voir se plier de rire.
Il rencontra aussi un artiste qui couchait les mots sur le papier. Il voulut lui en toucher deux mots et ce faisant lui demanda pourquoi il les emprisonnait ainsi…Raymond Devos lui répondit que les paroles s'envolent et lui proposa de jouer avec les mots. Avec son air de ne pas y toucher, cet artiste était trop malin pour Petit doigt.
Petit doigt faillit tomber amoureux d'Iris. Il lui avait tapé dans l'œil. Le regard luminescent de la belle diffractait une lumière qui faisait ressortir tous les contrastes moirés de la sérigraphie sur laquelle ils s'étaient perdus tous les deux. Mais l'amour d'Iris était trop exclusif et étouffant pour quelqu'un comme Petit doigt voulant tourner la page.
Cheminant de par le vaste monde, il s'arrêta par un soir d'orage et de pluie battante à Colombey-les-Deux-Eglises en France profonde pour prêter son aide à Yvonne de Gaulle, née Vendroux, manière de laisser son empreinte. Celle-ci, proche de la fin et atteinte d'une forme dérivée de la maladie de Parkinson, avait en effet du mal à tourner les pages de son journal intime. Par contre elle avait encore de bons yeux et toute sa tête. Elle lisait à haute voix ce qu'elle avait consigné dans ce journal à son général de mari, proche de la fin lui aussi, tantôt agacé et irrité, tantôt blasé, mais sans se départir de son mépris légendaire.
Petit Doigt, qui avait appris à lire de puis longtemps, lui tournait les pages comme on les tourne à un pianiste virtuose célèbre, avec beaucoup de révérence et en attendant patiemment qu'elle ait fini ses phrases.
-         On peut dire, mon ami, que vous m'en avez fait voir pendant toutes ces années ! Comment ai-je pu rester avec vous ? Vous petit tyran familial !
-         Je n'ai jamais été votre ami !
-         Je sais…Vous n'avez même pas été mon amant…Tout juste le géniteur de mes trois enfants. J'étais ce qu'il est convenu d'appeler une "oie blanche". Vous m'avez défloré et mise enceinte et c'est pour cela que nous nous sommes mariés en catastrophe. Philippe est né moins de neuf mois après.
-         Je vous ai prise à la hussarde, je sais ! Double tradition aristocratique et militaire ! On ne fait pas Saint-Cyr pour rien ! Que voulez-vous, on était en avril 21 et je sortais de pas moins de trois exils…
-         Ah,voila vos "exils" qui refont surface inlassablement. Vous radotez mon cher…Premier exil en 1904 en Belgique, deuxième exil : fait prisonnier pendant la Grande Guerre, vous vous morfondez à Ingolstadt en 17 et en 18, troisième exil : en poste en Pologne en 1920 et 21, où soit dit en passant vous subissez l'influence antisémite, je sais tout cela par cœur.
-         Je n'aime pas les juifs, pas par antisémitisme, mais parce qu'ils aiment trop l'argent !
-         Vous n'aimez personne, ni les juifs, ni les noirs, vous n'aimez que vous ! Bref, tournons la page…
Petit Doigt essaya de trouver une page un peu plus consensuelle

-         …Qu'est-ce que j'ai écrit là ? Ah oui, l'appel du 18 juin !
-         Eh bien quoi ?! Une de mes plus belles réussites !
-         Parlons-en de cette réussite. Je vous ai suivi, et après un voyage horrible où j'ai vomi de nombreuses fois, je me suis retrouvée en compagnie de madame Churchill qui se gavait de gateaux anglais infâmes et de sucreries en me racontant des inepties et des insanités quand elle avait un petit coup dans le nez….Et que son mari empestait le cigare et que ça l'incommodait fort pendant le devoir conjugal et que parfois il fallait qu'elle aille fumer le cigare au sous-sol elle-même. Je n'ai jamais très bien compris ce qu'elle voulait dire.
-         Vous n'êtes jamais descendue au sous-sol, ma chère, au sens propre comme au sens figuré. Votre éducation catholique petite bourgeoise n'a pas été assez rigide !.......En attendant cet appel est le premier discours lyrique qui a fait de moi ce que l'on sait…!
-         Ce que l'on ne sait pas, c'est que ce n'est pas vous qui l'avez écrit ! Il était déjà prêt et Georges Mandel et même Léon Blum avaient recommandé de vous le confier. Si Winston, qui vous appelait "Jeanne d'Arc", l'avait su, nul doute qu'il en aurait fait des gorges chaudes !
-         Justement, j'incarnais l'indépendance et la liberté de la France ! Incompréhensible pour ce rosbif de Churchill ! Je hais les Anglais et leur reine de pacotille ! C'est à vous dégoûter d'être monarchiste comme je l'étais étant jeune.
-         La liberté, la liberté ! Tout était libre chez vous ! Les Forces françaises libres…La France libre…Le Québec libre…Il n'y avait que l'Algérie qui était "française" avant de devenir libre pour de bon…Et pendant ce temps, nous, la femme soumise et ses trois enfants nous étions libres de nous taire.
¨Petit Doigt, qui n'aimait pas les situations conflictuelles, essaya une autre page.
-         A l'Elysée, vous aviez tout ce qu'il fallait, vous y étiez heureuse…
-         J'étais une potiche qui s'y ennuyait ferme. Les rares fois où j'en sortais en votre compagnie étant pour aller à la messe. Vous conviendrez que cela n'avait rien de folichon…J'ai même failli y trouver la mort dans l'attentat du Petit Clamart.
-         Cela aurait fait une belle fin !
-         Plus conforme à votre mégalomanie et à votre ego surdimensionné, que de mourir de vieillesse en charentaises en se faisant dessus après une opération de la prostate ratée ...!
-         Ne soyez pas cynique ma mie, cela ne vous va pas !
-         Votre mie maintenant ! Votre mie de pain que vous avez disséminée au quatre vents de votre égoïsme et de votre incompréhension aristocratique.
-         J'avais une certaine idée de la France, mais aucune idée de ce que pouvait être un couple.
-         Je vous avais demandé la grâce de Bastien-Thiry. Ayant vu la balle passer à quelques centimètres, c'était bien le moins que vous puissiez m'accorder, mais votre orgueil en a décidé autrement, d'autant que les autres ont été graciés eux ! Il fallait faire un exemple sans doute ?!

Petit Doigt devenait fébrile, alors que son rôle
était de tourner les pages avec sérénité.
-         J'ai là un florilège de vos citations et de vos bons mots, si tant est que l'on puisse les appeler ainsi. Alors je lis : "Le plus difficile, ce n'est pas de sortir de Polytechnique, c'est de sortir de l'ordinaire."
-         Ma préférée est : "Les français sont des veaux !" De plus, c'est vrai !
-         Ne vous en tirez pas par une pirouette…Cette école était-elle trop difficile pour vous, petit saint-cyrien même pas sorti major de sa promo ?..Et là : "Si les policiers n'étaient pas bêtes, ils ne seraient pas des policiers!" En vous côtoyant, j'en suis arrivée à penser la même chose des militaires.
-         Vous voulez penser, vous, qui n'avez même pas eu le baccalauréat !

Petit Doigt devenait moite et avait des fourmillements au bout de son empreinte. Il fit une ultime tentative

-         Vous exagérez Yvonne, mon bilan est plus que positif. Les journalistes et les historiens ont appelé mon règne : "Les trente glorieuses". Ce n'est tout de même pas pour rien !
-         Vous avez presque tout raté en croyant avoir tout réussi ! Et ceci à cause de votre intransigeance maladive, votre anticommunisme primaire, votre aveuglement indépendantiste. Vous avez raté Yalta, votre retour en 45, la décolonisation et sa gestion calamiteuse, la force de frappe qui accouché d'une souris : la bombinette qui coûte cher aux contribuables, la modernisation du pays pourtant nécessaire et même votre constitution monarchique parlementaire qui a fini par se retourner contre vous ! Et ce n'est pas tout vos beaux discours qui vont y changer quelque chose. Henri Tissot s'en est suffisamment moqué !
-         Henri Tissot ne s'est pas moqué, il m'a imité ! Oh et puis vous devenez grotesque Yvonne. Vous pêchez ces polémiques auxquelles vous ne comprenez rien dans les discours de vos cousins, piètres politicards.
-         Vous ne vous êtes même pas enrichi, alors que tous les crabes qui se sont remués dans le panier gaulliste se sont enrichis, eux, de manière insolente !
-         On appelle cela de la probité !
-         ..Savez-vous, mon cher si l'on peut dire,  que vos héritiers devront même vendre notre propriété de la Boisserie, à Colombey. Certains parlent de la racheter par une souscription, et d'en faire le musée Charles de Gaulle. Les tractations ont déjà commencé…Je le sais par Philippe.

Vu la tournure des évènements, Petit Doigt était prêt à lâcher la main d'Yvonne, mais celle-ci lui extorqua un dernier détournement.
-         Malgré le secret professionnel, j'ai eu connaissance des termes de votre testament, parce que, figurez-vous, moi aussi j'en ai fait un : « Je veux être enterré à Colombey. À mes obsèques, ni présidents, ni ministres ! Sur ma tombe : Charles de Gaulle, 1890-19... Rien d'autre » Après avoir été autoritaire, tatillon, cassant, intransigeant, méprisant, démagogue, tyrannique, mégalomane, vous essayez de brouiller les pistes du souvenir et du jugement de l'histoire par une mort humble. On ne me la fait pas à moi !
-         Vous Yvonne, l'histoire ne retiendra de vous que la médiocrité et l'effacement. Aucun aéroport, aucun porte-avions, aucune bouche de métro ne portera votre nom, pas même une rame d'ailleurs ! ! Tandis que moi… ! Nul doute que le porte-avion Charles de Gaulle sera un navire prestigieux, bourré de technologie à la pointe du progrès et d'autres merveilles telle que l'amiantage. Ce ne sera pas un de ces trop nombreux bateaux poubelles qui infestent nos mers et nos océans !
Petit Doigt en avait assez entendu et il n'avait aucune envie d'être réincarné en femme de général-président-monarque absolu. Il s'extirpa de la main d'Yvonne pour aller poser son empreinte ailleurs.
Une aquarelliste, qui décorait sa page et travaillait par petites touches, le laissa passer sans encombre, il eut froid sur du papier glacé, chaud sur du papier goudronné, resta collé sur du papier gommé, respira sur du papier libre, devint fou sur du papier timbré et comprit enfin sur du papier cristal qu'il touchait au but…
Il voulait faire quelque chose de sa vie et se rendre utile…Un imprimeur dont le toucheur était défectueux, l'engagea et Petit doigt se mit à la page du monde du travail, apportant ainsi sa touche personnelle à l'écriture du livre de la vie. C'est là que les choses se compliquèrent un peu. Se rendre utile n'est pas toujours aussi simple…




ELLE MeT duCOMPOST, ELLE !

-         Christian, Marc, on s'arrête un peu ?
-         Qu'est-ce que tu en penses ?  Marc, je te trouve bien songeur…
-         Il va encore nous écrire quelque chose…
-         J'ai envie de pisser…
-         C'est une tout autre affaire.
-         Christian…Voila quelqu'un avec une drôle de dégaine.
-         Il fait peut-être du théâtre comme toi, Marc. Regarde comme il est attifé !
-         Holà marauds, passez votre chemin, à moins que vous n'ayez gourdasse bien remplie de bonne eau de source. J'ai grand soif.
-         Donne lui tout de même à boire, Denise.
-         Grand merci mon bougre…La désaltérance m'est douce…Je vous ai mal adjugé au prime abord. Point n'avez l'air de coquillards animés par le lucre et le brigandage et non par la foi… C'est que votre mise de manant est fort curieuse. Ne seriez-vous pas de ces foldingos qui errent par les chemins ?
-         Marc, viens voir quand tu as fini de pisser. C'est de ton ressort.
-         J'arrive…monsieur, à qui avons-nous l'honneur ?
-         Seigneur Adalard, Vicomte des Flandres, cheminant en cet an de grâce sur la via Podiensis vers la boralde d'Aubrac.
-         Ces jeux de rôles sont impressionnants, on s'y croirait,… pas vrai Christian ?
-         Jeu de drôles !? Mais toi donc, drôlesse, que fais-tu en ces lieux ? On compte peu de femmes parmi les pèlerins dignes de ce nom. Prends garde à mon courroux…
-         Christian, défends-moi…
-         Cette femelle prétentieuse t'appartient-elle, toi le mécréant?
-         Marc, à moins que je ne lui foute ma main sur la gueule, qu'est-ce que je réponds à ce stade ?
-         Si fait !
-         Si fait, Monsieur !
-         D'ailleurs je n'aperçois point à vos pourpoints miséreux de coquille Saint-Jacques…Point n'êtes d'humbles pèlerins, vous êtes des gueux !
-         Tu vois Christian, je vous l'ai dit déjà…Vous crachez, vous éructez, vous pissez au milieu du chemin…Vous êtes dégueus !
-         Si vous avez une coquille, arborez-là…Nous les chevaliers arboront nos armes et celles de nos suzerains. Notre "carte" est donc illustrée par la Croix épée de Saint-Jacques, les armes de France parées de la Croix de l'Ordre de Malte, ainsi que les armes du Duché de Bourgogne ornées de la Toison d'or.
-         Christian tu avais une coquille avant…Mais si, quand tu jouais au hand.
-         Denise, la situation est suffisamment compliquée comme ça…
-         J'interviens…
-         C'est ça Marc !
-         Et que venez-vous faire en ces contrées, seigneur Aladin…
-         Adalard ! Ayant passé le sanctuaire jacquet de Saint-Chely d'Aubrac, je me rends vers l'hôspital d'Aubrac. Et je vous adjoins une dernière fois d'arborer vos coquilles, si toutefois vous en possédez une…J'aperçois de drôles de blasons sur vos gayes. A quelles familles appartiennent ces écus ?
-         Moi, la famille Oxbow
-         Moi, la famille Nike
-         Moi, euh… my name is Dorothenis…
-         Ce n'est pas ce qu'on te demande, Denise !
-         Oui, j'ai compris, il veut la coquille…La coquille, la coquille, mais nous on n'en a pas de coquille…Pas vrai Marc ?
-         Assurément !
-         Il m'énerve avec ses coquilles !
-         Parle sur un autre ton, mauvaise engeance, garce, ribaude !
-         Je parle comme je veux ! De toute façon qu'est-ce que vous y connaissez à cette coquille ! Apprenez, monsieur que la Saint Jacques appartient à la famille des pectinidés, famille très nombreuse, 400 espèces environ, dont deux espèces vivent dans nos mers, la pecten maximus, la vraie, la meilleure, qui vit en Normandie, dans la baie de Saint Brieuc et en Atlantique et la pecten jacobus qui est une espèce médidérranéenne. C'est un mollusque bivalve qui absorbe sa nourriture, du phytoplancton, par filtration. Sa valve supérieure est plate, à grosses côtes concaves, et l'inférieure est creuse, c'est cette partie qu'elle enfonce dans le sable. De couleur brun-rouge à rose, la coquille Saint Jacques est sédentaire et son habitat préféré est les fonds marins formés de sables, de débris coquillaires et de maërl dans lesquels elle s'enfouit à moitié… Hermaphrodite, elle contient une glande génitale appelé le corail qui est rouge chez les femelles et blanc chez les mâles qui se forme quelques mois avant la période de reproduction. Lorsque l'eau est a plus de 16°, en été, c'est la ponte, les coquilles lachent leurs semences qui s'unissent au gré des mouvements de l'eau, de cette rencontre naît une petite larve qui vit pendant 3 à 4 semaines une vie larvaire pélagique, puis qui se fixe sur un socle de son choix et continue sa croissance. A  4 mois, son byssus disparait, elle est donc libre de ses mouvements, mais, peu aventureuse, la coquille Saint Jacques, une fois posée sur le fond ne se déplace quasiment plus. A deux ans, elle atteint sa maturité sexuelle et le cycle recommence. Sa pêche est autorisée d'octobre à avril. Elles doivent au minimum mesurer 13 cm. Les cours des coquilles Saint Jacques fluctuent selon les arrivages qui dépendent des conditions météorologiques car la pêche est difficile ou dangereuse par gros temps. La coquille Saint Jacques est toujours vendue fraîche, car elle ne peut être élevée en parc, ni stockée. Achetez-la le jour où voulez la consommer, si ce n'est pas possible sachez qu'elle se garde entière à 6-8° dans le bac à légumes de votre réfrigérateur…
-         Respire, Denise, respire !
-         Non mais il m'énerve !
-         Ta femelle a belle jactance ! Mais elle se découvre manières de noble dame et point manières de sotte gueuse…Partons d'ici avant l'orage qui gronde, mais dis à ta douce de ne point trop nous abreuver de savantes démonstrations. J'aime les luronnes taiseuses et point flagornantes…
-         Tu vois Denise, tu parles trop, je te l'ai dit déjà…
-         Tu parles !...Oh de la fétuque du mouton…Marc, viens voir…Il y en a plein ici !
-         Ah, c'est ça…! C'est de la vulgaire herbe.
-         Il ferait bon voir que les paysans et autres gens de basse extraction ne viennent faire paître leurs troupeaux sur la via Podiensis, chemin sacré des pélerins de Compostelle. Il leur en cuirait et seraient tout dret destinés au gibet…C'est ainsi que cette herbe peut pousser à profusion…
-         M'en fous !
-         Quel est ce nain, ce nabot grotesque par le travers du chemin ?...Je vais proprement l'embrocher de ma fidèle épée.
-         Demandons-lui plutôt ce qu'il fait à rôder par ici, noble seigneur. Baste, laissez-lui conter sa geste…
-         Tu as raison, chevalier Oxbow, soyons tout ouïe…
-         Il assure Marc quand même, Christian !
-         On a bien fait de l'emmener !
-         Hola, villain contrefait, que fais-tu en ces lieux sacrés ?
-         Je me présente : Henri Marie Raymond de Toulouse-Lautrec Monfa, fils d'Alphonse Comte de Toulouse-Lautrec-Monfa et d'Adèle Tapié de Celeyran.
-         Contrefait, mais noble ! Soit ! Les Comtes de Toulouse sont parmi les plus puissants féodaux du royaume. Veuillez cheminer avec nous et sous notre protection…Je vous présente à mon tour le chevalier Oxbow et le chevalier Nike.
-         Ainsi que Dame Denise Dorothenis…
-         Denise, la situation est assez compliquée…
-         Je sais, je sais…!
-         On m'a dit que je trouverais " La goulue " sur ce chemin. Alors je cherche, en vain, depuis ce matin.
-         Vous trouverez ribaudes et garces à proximité de l'hostellerie à Aubrac. Contre quelques écus sonnantset trébuchants, pourrez-vous ainsi vous offrir le déduit. Elles ne seront point regardantes sur votre apparence…
-         Mais non, il s'agit probablement…Comment on dit :"Mais non" Marc ?
-         Que nenni !
-         Merci ! Que nenni, messire ! Il s'agit probablement de la "Drosera" ou "Humide de rosée", surnommée "La goulue" car c'est une plante insectivore qui, à l'aide de ses feuilles rondes recouvertes de poils gluants, capture mouches, moustiques et même petites libellules… Dès que j'en aperçois une, je vous la montre. En tout cas voici la "Grande gentiane" assez commune par ici, et ici l'"Asphodèle", …tu peux regarder toi aussi Marc, après tu vas me redemander. Ici, nous avons la "Pensée sauvage", ici la "Circe des ruisseaux", ici, beaucoup moins commun l'"Ail des ours" "Alium Ursinus", mais il y a belle lurette qu'il n'y a plus d'ours…
-         Fort heureusement, Dame Denise Dorothée, nous les avons chassés et exterminés. C'était trop dangereux pour nos pélerins, malgré leur bravoure et leur dévotion. On peut en observer sur la via Tolosana, au col de Roncevaux. Il faut alors y être très prudent.
-         Ouais, c'est ça ! Oh tenez Comte, en parlant de mouches, regardez toutes celles-ci qui s'agglutinent sur ce champignon, c'est le "Satyre puant". On ne peut le voir qu'en faisant fuir les dyptères…
-         C'est très interessant, je vais en peindre…Il a une forme de…braquemart !
-         Oui, c'est assez phallique !
-         C'est fort plaisant d'avoir femelle savante, chevalier Nike, mais qu'en est-il de ses talents culinaires ?
-         Elle réussit fort bien toutes sortes de plats, en particulier l'aligot dont raffolent gens de ce pays…Ça va comme ça Marc ?
-         C'est parfait ! Je n'aurais pas fait mieux !
-         Fort bien, fort bien, vous devez vous en trouver fort aise…Et pour le déduit ?
-         Qu'est-ce qu'il en déduit ?
-         Rien, rien, Denise, je t'expliquerai !
-         Dis-lui, Marc, que s'il veut planter ces fleurs et plantes sauvages dans son jardin, il faut qu'il mette du compost…
-         Que dit Dame Denise Dorothée qui n'ose s'adresser à moi ?
-         Elle met du compost, elle !
-         Je n'entends rien à ce discours !
-         En plus, il est sourd ce con !...Tenez Comte, vous allez trouver cela cocasse, ici nous avons le "Bon-Henri", plante comestible, dont on peut faire des décoctions et des tisanes aux vertus curatives. La légende veut que le bon roi Henri IV en soit très friand, d'où son surnom. Son vrai nom est le "Chenopodium".
-         Le bon roi Henri IV ?
-         Eh bien oui, Henri de Navarre…
-         Mais le Roi de Navarre ne s'appelle pas Henri… C'est Gaston Phébus !...Oh, vous êtes bande de fols qui me tournez les esprits, et je n'entends rien à toutes vos fadaises et simagrées. Vivement que nous atteignons la boralde ! Je ne veux plus vous revoir sur ma route !
-         En tout cas, moi, je ne regrette pas d'être venu. Je me demandais un peu ce que je faisais là, mais je m'aperçois que j'y ai plein de choses à peindre, comme ce "satyre puant" qui aura beaucoup de succès à Montmartre… Je vois bien mon ami Magritte intituler son tableau : "Ceci n'est pas un champignon". La butte me manque, même si l'air de la campagne m'est recommandé. Dame Denise, si vous connaissez des champignons hallucinogènes, indiquez-moi les, mes amis vous en seront reconnaissants.
-         Vos amis…vous fréquentez les gargottes de la capitale, Comte. Peut-être vous arrive-t-il de vous acoquiner avec le poète François Villon et sa bande de tires-laine et autres criminels et coquillards parlant le jargon jobelin. Méfiez-vous de ne point y laisser la bourse et la vie, même si débauche est parfois douce avec les ribaudes, surtout pour vous qui voulez oublier votre condition de nabot.
-         Vous ne croyez pas si bien dire, seigneur Adelin
-         Adalard ! Je suis las que vous tous estropiez mon nom ! C'est là grand manque de respect et je ne sais ce qui me retient de…mais nous voici à Aubrac, lieu d'horreur et de profonde solitude, je serai magnanime. Vous allez vous fondre parmi les pèlerins et leur humilité.
-         Là, un "Lys Martagon" C'est une plante très rare et une espèce protégée. Il ne faut pas le cueillir, il est beau n'est-ce pas Marc ?
-         Oncques ne vit plante plus majestueuse ! Nul doute que nos souverains l'ont choisi pour mettre à leur blason, car il est symbole de beauté et de noblesse. Je m'en vais le cueillir pour le mettre à mon revers de pourpoint en allégeance à mon roi.
-         Qu'est-ce c'est que ces conneries ? Il est protégé, je vous dis !
-         Fadaises et billevesées de femelles sensibles. Les seuls à protéger sont dieu et son roi ! Installez-vous dans l'hostellerie, vous dis-je et faites vous y discrets ! Vous y trouverez gîte, couvert et paillasse. Suivez y bien les préceptes et règles de la confrérie de Saint Augustin. Prière, dévotion, silence, humilité, jeûne, et abstinence de chair. Perdus par le péché, vous serez sauvés par la grâce ! Allez, et n'y revenez plus !


-         Oh mais ça suffit le petit seigneur Adobe photoshop ! On ne peut rien faire alors ! Vous êtes un vrai tyran ! Il faut arborer la coquille, il faut prier le dieu, il ne faut pas faire ci, pas faire ça, pas se promener avec ses moutons ni avec ses ours, ne pas trop parler, ne pas être trop savant, ne pas se trimballer sur le G.R. quand on est une gonzesse, se permettre de cueillir les espèces protégées, bonjour l'obscurantisme, la misogynie et l'écologie !!!
-         Respire Denise, respire !
-         Christian, Marc, j'en ai marre des jeux de rôles !... A moi Comte, deux mots : Laissons tomber ce blaireau et allons au resto. Ils y font un petit aligot qui est meilleur que le mien.
-         Revenez batards, ma vengeance sera terrible !
-         Je vous remercie, Dame Denise, je m'en retourne à la capitale, mais si d'aventure vous passez par Montmartre, je vous y peindrai avec plaisir…
-         Vous ne restez pas avec l'autre abruti ?
-         Ne vous inquietez pas. Comme j'aime à dire : "Je boirai du lait quand les vaches brouteront du raisin." …Adieu.
-         Tu as entendu Christian, je vais poser pour lui…
-         Oui Denise, en attendant on va se poser où tu as dit, n'est-ce pas Marc ?
-         Avec plaisir !

   













LE TYRAN, LE LUTHIER et LE TEMPS

Un troubadour étrange arriva un jour sur la place d'un village…Tu m'écoutes Morgane ? Sinon je ne raconte pas ! Prend ton petit pouce !
C'était donc un troubadour qui ne payait pas de mine, habillé de haillons aux couleurs grisâtres. Mais il avait l'attirail habituel des troubadours, rien à vendre, rien à déballer sur une charrette pour le proposer à l'achat, aucune natte à mettre à même le sol pour y déballer la marchandise; non, il avait un instrument, une viole qu'il prépara avec soin pendant que les badauds commençaient à se regrouper devant lui.
Il affûta les cordes de l'archet de sa viole comme on affût une scie, ce qui ne laissait pas de titiller la curiosité des badauds qui se retrouvèrent de plus en plus nombreux. Il exerçait sur eux ce mélange de fascination et de répulsion que tous les baladins exercent sur le petit peuple, méfiant envers tous ceux qui n'appartiennent pas à leur communauté, mais friands de boniments et prêts à se faire duper au moindre tour de magie…Il invectiva quelques uns de ses spectateurs, comme fait tout bon bonimenteur
-         Holà mes amis, approchez…Toi là, quel est ton nom ?
-         Gérard ! Que fais-tu là étranger à affûter ta canne et ses drôles de filins ?
-         C'est l'archet de ma viole et tu vas voir apparaître un décor, des couleurs, des sons, des odeurs et du vent, quand je commencerai à frotter mon instrument avec les cordes ainsi affûtées.
-         Ne vous laissez pas embobiner mon cher mari, le travail nous attend à l'échoppe.
-         Ah, ah, ta bourgeoise a peur de te voir perdre ton temps et ta bourse à assister à mon spectacle. N'aie crainte…Je ne suis pas en cheville avec un détrousseur qui coupe les bourses et dérobe les bijoux pendant que les bons citadins badent devant le spectacle. Quelle échoppe tenez-vous donc pour être ainsi pressée d'y ramener votre homme?
-         Cela suffit femme ! Je fais comme il me sied ! Allez rebouter vos patients et laissez-moi en paix. Mes onguents et toute ma pharmacopée attendront. Je suis curieux d'entendre ce drôle si bien empenaillé et qui ne m'a point l'air trop finaud ou fiérot…Allez dame Nicole, ne me faites point honte devant toute l'audience ici réunie.
Dame Nicole, femme de Maîstre Gérard, rebouteuse de son état, s'en fut non sans avoir encore manifesté sa méfiance et sa mauvaise humeur, mais battit en retraite devant le tour que prenaient les choses et l'hilarité générale.
-         J'en conclus que ta femme reboute et soigne les douleurs et que toi tu dispenses tes drogues et tes herbes au bon peuple. Et bien moi, vois-tu, ma fonction, mon rôle ici-bas est de rebouter les âmes, ou d'adoucir leur misère et leurs soucis par mes ballades.
-         Trêve de balivernes, conte nous plutôt ce que tu as dans ton chapeau avec ton archet magique et voyons si le spectacle promet, sinon nous te chasserons avec tous les honneurs qui sont dus aux flagorneurs et aux tricheurs.
Et le troubadour se mit en mesure de s'exécuter. Sa voix limpide s'éleva sur la place, accompagnée de la plainte de son instrument



"Bonne gens, oyez le récit
D'un tyran qui voulait connaître
Les pensées de tous ses sujets
Afin d'en rester le maître !"
Il capta d'emblée l'écoute et l'attention de tous ceux qui étaient là à l'écouter et à gober ses paroles…
L'histoire commençait avec l'évocation d'un luthier habile qui vivait dans un pays lointain au milieu de forêts, de collines et d'étangs, rien de très surnaturel, propre à faire pâlir d'effroi les quelques donzelles frileusement tassées les unes contre les autres.
Le luthier fabriquait des instruments qui ne se contentaient pas de jouer de la musique. Celui qui les manipulait devenait détenteur d'un pouvoir diabolique. Dans ses mains, sous ses doigts, mots et sons prenaient corps. Ainsi procédait l'instrumentiste pour façonner des mondes nouveaux….A ce stade, le troubadour s'arrêta, en bon bonimenteur, pour ménager ses effets et faire croître la curiosité et l'envie d'en savoir d'avantage, tout en réclamant à boire à son auditoire.
-         Simon ? Simon ? Où est-il ce feignant de drôle ? Encore à lutiner quelque pucelle ?...Toi, Pauline, va chercher belle cruche de bon vin bien frais pour notre troubadour.
-         Vous m'avez appelé mon père ?
-         Viens voir les comédiens, voir les magiciens, voir les musiciens qui arrivent, viens !
-         J'arrive ! Eh bien, de tous ceux que vous m'avez nommés, je n'en vois qu'un, père !
-         Tais-toi drôle, ils sont tous ceux-la en un seul ! Pose ta besace et écoute !
-         Grand merci, Maîstre Gérard, on voit chez vous l'homme qui sait se faire obéir !
Et le troubadour continua son récit… Au cœur de ce pays, dominant la cité, était un grand château. Dans ce château plein d'oubliettes, de ponts-levis toujours levés et de cruelles meurtrières vivait le suzerain Nicolas 1er, roi de Karchérie, cruel tyran parmi ses gens. Il était autoritaire, odieux, moqueur, envieux, pervers, sadique, et maladivement curieux. Il en avait développé une folie qui le faisait demander sans arrêt à son majordome : Que font, que disent, que pensent les gens ? Chacun m'évite, chacun me ment ! A quoi me sert d'être un tyran si je ne suis pas au courant ? Son  esprit retors et malade lui fit édicter un jour un édit qu'un héraut clama tout haut dans les rues de sa capitale : A vous mes sujets, simples gens, savants, artisans, je lance un défi. Que le plus habile imagine un philtre, un procédé, une machine qui me permette à moi d'épier tous mes gens, d'être partout chez tous en même temps ! Ceux qui échoueront périront, mais celui qui réussira épousera ma fille !
Personne n'avait jamais vu la fille du tyran, mais la rumeur courait qu'elle était fort belle et fort douce. Seul le luthier, grâce aux pouvoirs magiques de son instrument avait esquissé la pâleur, les courbures, le profil, avait exhalé les parfums de la douce princesse. A l'annonce de ce défi, le luthier s'enferma chez lui pour travailler à une obscure tâche et plus personne ne le revit pendant une longue période.
Mais le lendemain se présenta devant les portes du palais le Maîstre graveur du pays. Que me proposes- tu toi l'aquafortiste pour résoudre mon problème ? Celui-ci lui répondit : Votre seigneurie a son visage déjà partout reproduit, sur les médailles, écussons, bustes, statues, monuments et pièces de monnaie, à l'exception  des assignats et lettres de créance, et vous surveillez par ce biais gestes et faits de vos sujets…Le roi lui objecta : Certes, mais ce ne sont là que vulgaires images qui ne me permettent pas de vivre mille fois !
Aussi est-ce un autre procédé que je viens vous proposer…continua le graveur…A force de mélanger mes mixtures, j'ai découvert un acide qui, aussitôt votre corps dissous par celui-ci, se liquéfiera en un fluide qui portera de vous la moindre molécule et se divisera en des millions de particules
Moi divisé…? Fit le roi intrigué.
Divisé pour régner, Sire ! Chaque éclat de vous-même dans chaque être s'infiltrera.
Voyons un peu cela !...Et le roi plongea un index méfiant qui fut promptement dévoré par l'acide. Hurlant de douleur il ordonna de jeter le maîstre graveur dans une oubliette et de le torturer à petit feu. Le stratagème inventé par l'aquafortiste pour se débarrasser du tyran ne réussit pas. De cette mésaventure le tyran garda un doigt mutilé, une rancune tenace contre les graveurs de toute espèce, mais aussi l'idée de mettre son effigie sur les assignats.
 Il inventa ainsi le "papier-monnaie" plus tard appelé "argent", puisqu'on utilisait une formule argentique pour tamponner les assignats encore appelés "billets". Cela avait l'immense avantage de revenir moins cher que de battre monnaie d'or et d'argent fondus, et d'instaurer un autre monopole du pouvoir…
Finalement le tyran ne regrettait rien. Pendant ce temps, Dominique son grand chambellan, qui espérait secrètement sa perte, rongeait son frein… Mais le tyran n'avait pas abandonné son défi extravagant et maléfique.   
A ce moment là les cloches se mirent à sonner mâtines car on était un dimanche, et il était mal vu de ne pas assister aux offices. A regret les badauds, captivés par le récit commencèrent à quitter la place pour se diriger vers l'église située tout en face.
     -   Tu continueras ton récit après les offices troubadour, car il semble que ton conte plaise à la troupe des citadins ici réunis.
     -   Méfiez-vous mon mari ! Je sais que vous êtes vous-même fort friand de jongleries,        ballades et autres montreries, mais notre roi Jacques ne tolère point les baladins trop subversifs…Avez-vous souvenance de celui-ci qui vint nous montrer son "Tableau des merveilles" qui avait semé la zizanie dans notre cité par ses évocations troublantes de taureau en furie. Un des missi dominici du roi avait été renversé par la foule paniquée. Fort heureusement l'évocation du juif crochu et satanique lui avait for plu et avait apaisé sa colère.
     -   J'entends bien tout cela, madame ma femme, mais il me tarde cependant d'entendre la fin de l'histoire. Ce drôle sera puni, comme je le lui ai promis, si cette histoire nous réserve mauvaises surprises et évocations trop fantasques…Vous n'avez point oublié de faire payer vos patients pour vos soins ? …Tiens baladin un écu pour te restaurer et reviens nous fringant et point trop éméché après le repas dominical et en respectant également la trêve des vêpres.
…………Ainsi fut fait comme proposait Maîstre Gérard et le spectacle reprit dans l'après-midi. Avant de reprendre, le troubadour fut même invité à partager une pinte avec les bourgeois et gens de bien. Chacun y alla de ses commentaires sur sa vie errante mais libre. Passablement éméché, lui, Maîstre Gérard chanta cantiques et chansons à boire de sa belle voix de ténor et s'épancha sur l'épaule du troubadour, lui signifiant que la bohème ça voulait dire : on est heureux et autres billevesées d'homme pris par le vin. Le troubadour écouta ses délires sans trop oser le contredire. Et puis il lui fallut se remettre à l'ouvrage et il réinstalla tout son attirail au milieu de la place. Cette fois-ci tout le gratin était là : Maîstre Christian et Dame Denise, aubergistes fortunés, Maîstre Rolland, maréchal-ferrant, et dame Béatrice, Maîstre Pascal, scribe, et Dame Catherine et bien d'autres, tous prêts à s'encanailler et se ravir de sornettes et autres esbroufes en éructant, pétant et flatulant à qui mieux mieux.
Dans le conte continuèrent à défiler plusieurs personnages bien campés. Tous voulaient bien sûr la disparition du tyran, croyant peu à cette proposition de mariage avec une fille que l'on n'avait jamais vu et qui n'existait probablement pas…Vint d'abord un individu noir au grand et long chapeau que tout le monde connaissait comme astrologue. Il avait fabriqué un four "atomique", selon ses dires, capable de muer le roi en soleil dont il darderait ses jets, atomes et particules sur le moindre de ses sujets, avant de devenir lui-même une étoile… Le roi l'y fit entrer le premier et le corps de l'astrologue se décomposa en énergie domestique.
Puis vint l'Agronome principal qui voulait transformer le suzerain en poussière par le moyen d'un énorme hachoir. Le souverain le fit broyer menu et donna les restes à ses chiens.
Le Grand Alchimiste avait distillé un poison susceptible de faire évaporer celui qui l'absorbait. En se dissolvant, le corps du Grand Alchimiste fit éternuer les ministres et claquer au vent les bannières. Le vœu extravagant du tyran n'était pas prêt d'être exaucé.
Sur la place, au milieu des badauds il y eut tout à coup un remue-ménage qui fit cesser les évocations du troubadour. C'était la fille de Maîstre Gérard qui accourait en criant.
-         Mon père, ma mère, vite…Elle va mourir la mama !
-         Que nous chantes-tu là ?
-         Son fils vous supplie d'apporter onguents, herbes et drogues afin d'adoucir ses derniers moments !
-         Vas-y, toi femme, et n'oublie pas de te faire payer…Et par la même, préviens le curé pour l'extrême onction… Excusez-nous gentil troubadour, mais il y a tant d'amour  et de souvenirs à travers elle, que jamais, jamais, jamaiiiis, on ne l'oublieraaaaa !!!
Le troubadour pensa que Maîstre Gérard n'avait pas besoin de crier, ni de répéter, mais de toute évidence il avait le vin non pas mauvais, mais prolixe…Il continua ses évocations, bien décidé à en terminer cette fois…
Un jour, au soleil couchant se présenta devant le roi un humble musicien, le capuchon rabattu sur son visage. Ce n'était qu'un violoneux et non un génial artisan. Le roi lui demanda : Que m'apportes-tu là ? Je te préviens, j'ai horreur de perdre mon temps ! Et le musicien lui répondit : Un instrument de ma confection, un métronome qui distille le cours du temps et celui qui risque le geste de le toucher d'un doigt, stoppe le cours du temps, mais il en reste le maître. Essaye ! Le roi hésita un peu, puis toucha l'instrument du bout d'un doigt. Il en ressentit un léger vertige. Il ne s'est rien passé luthier, tu mens, tu essayes de m'embobiner !
Tout un jour a coulé, majesté…rétorqua le musicien…Vois mon visage où la barbe a poussé. Pendant cette journée je me suis promené dans ton château et j'ai découvert le coffret bleu où tu caches tes trésors et tes bijoux, tu peux vérifier ! Le tyran touchait enfin à son but. Il s'enferma avec le luthier, effleura le métronome et le temps s'arrêta, tout se figea, sauf lui !
Il sortit du palais, partout régnait le silence ! Il visita son royaume où tout était figé comme la pierre…Il usa et abusa de ce métronome, arrêtant souvent le temps à sa guise, ayant ainsi l'illusion de pouvoir surveiller ses sujets, jour après jour, seconde après seconde. Il s'accorda d'interminables temps d'arrêt…Mais pendant que le tyran gaspillait de précieux mois de sa vie, ses sujets longtemps figés ne vieillissaient que de quelques jours. Ainsi, comme l'avait prévu le luthier, le tyran vieillit à vue d'œil, à la grande surprise de ses sujets. Un matin du mois suivant, au terme d'une décrépitude pitoyable, il mourut soudain, solitaire et prisonnier du stratagème manigancé par le luthier. Ce dernier enleva alors son capuchon, et tout le monde put reconnaître le luthier qui s'était enfermé dans son atelier et avait fabriqué son métronome. Par sagesse, il détruisit celui-ci avec fracas pour que personne ne soit tenté de l'utiliser de nouveau et il retourna à sa vie taciturne et s'enferma de nouveau dans son atelier.
Certains sujets particulièrement stupides et naïfs se demandèrent s'il avait épousé la fille du roi…Le Grand Chambellan s'autoproclama roi, édicta quelques lois un peu plus libérales et la vie continua dans un pays délivré du joug d'un tyran fou.
Le conte et les évocations étaient finis. L'étrange troubadour et son instrument se turent. Les évocations s'évanouirent. Forêts, étangs, cités, personnages s'estompèrent et se fondirent dans un accord final dont l'écho retentit fort loin, laissant tous les spectateurs et badauds abasourdis…Nul n'avait envie que la magie s'arrête. Il en allait ainsi en particulier de Maîstre Gérard qui s'était mis à éructer plus qu'il ne chantait
-         Je suis formi, formi, formi, formidaaaaaaable ! You are for me, for me, for me, for minaaaaaaable !
-         Monsieur mon mari, tenez vous !
-         Maîstre Gérard parle l'anglois ?
-         Quelques mots appris aux anglois qui occupaient la région quand le Duc de Bourgogne était leur allié. Il n'en est plus ainsi, après le renversement des alliances.
-         J'ai ouï dire !…… Le bourgogne aligoté de Maîstre Christian fait des ravages, dame Nicole !
-         Où allez vous diriger vos pas en nous quittant ?
-         Je descend vers le sud, vers la Provence. On n'y craint plus les sarrazins et le Comte de Provence s'est également rallié à notre roi Jacques 1er .
-         Avez-vous visité de nombreuses contrées, étrange baladin ?...Poussez-vous femme et me laissez en paix, je tiens debout que diable !
-         Certes Maîstre Gérard, je fus en Germanie et en Vénétie, je…
-         Parlez-moi de Venise la belle et de ses canaux, de sa lagune et de ses barcaroles, de ses palais et de ses femmes !
-         Monsieur mon mari, tenez vous !
-         Figurez-vous, Maîstre Gérard, que j'y rencontrai l'amour, mais que celui-ci sous les traits d'une levantine sensuelle préféra les sequins d'un des petits tribuns de la république de Vénétie ! Que c'est triste Venise au temps des amours mortes ! J'ai dit adieu au pont des soupirs et adieu à mes rêves perdus, j'ai fait mon baluchon et j'ai quitté le pays !
-         Ah, que me tenez-vous discours triste, mon cher troubadour ! J'ai moi-même rêvé de visiter ces contrées quand hier encore j'avais vingt ans ! Mais j'ai perdu mon temps à faire des folies qui ne m'ont laissé au fond rien de vraiment précis que quelques rides au front et la peur de l'ennui…Hic ! J'ai critiqué le monde avec désinvolture…Hic !
-         Après il m'a rencontré et m'a espousaillé !
-         Après je l'ai rencontrée et…,tenez-moi,… je l'ai espousaillée !
-         Monsieur mon mari, il est temps d'aller dormir.
On avait beaucoup de mal à traîner Maîstre Gérard jusqu'à sa couche. Plusieurs personnages s'y étaient mis, dont Maîstre Christian, somptueux gaillard joueur de soule. On entendait des bribes et des couplets vociférés par Maîstre Gérard comme : Il est des nôôôôôtres !, ou encore : Le curé de Camareeeeeet a les…ou encore : Mais lââââââchez-moi !... ou bien encore : Eeeenmenez moi au bout de la teeeeere ! Et puis on n'entendit plus rien car on l'emmena dans son lit. C'est le moment que choisit Pauline, fille de dame Nicole pour venir aider et aguicher, il faut bien le dire, le baladin qui finissait de ranger tout son attirail et comptait la monnaie qu'il avait récolté dans son chapeau…Dame Nicole, son mari étant circonscris dans le lit marital, revint sur ces entrefaites et s'emporta à l'encontre de sa fille.
-         Cesse donc tes manigances, petite gourgandine et va donc préparer les herbes pour demain à l'échoppe !
-         Ma mère, je ne fais rien de mal !
-         Il ferait beau voir que tu attrapes le mal-joli avec tes finasseries et tes mièvreries.
-         Ma mère, nous ne sommes pas herboristes pour rien, et vous savez comme moi que nous avons les herbes et décoctions propres à faire passer les fœtus de vie à trépas…
-         Nous avons d'avantage de décoctions aphrodisiaques que ce dont tu parles ! Et ce n'est pas le moment d'en donner à ton père, même s'il en réclame ! Je tiens à passer la muit tranquille..Va, disparais ! Et que je ne te reprenne plus à tourner autour des damoiseaux ! Excusez-nous, messire troubadour, mais votre spectacle a été propre à perturber un peu la tranquillité de notre cité…Tenez voici encore quelques bons écus sonnants et trébuchants et quittez la ville céans !
Et dans un dernier regard de femme décidée, Dame Nicole tourna les talons et le troubadour se retrouva seul au milieu de la place…Il n'avait plus rien à faire en cet endroit et il sortit de la ville en prenant le chemin du sud…Au bout de quelques lieues, un jeune homme à cheval le rejoignit. Il reconnut le jeune Simon, fils de Maîstre Gérard, qui le pria de faire la route avec lui et de l'accompagner ainsi jusqu'en Provence.
Il lui expliqua qu'il était fort las de s'ennuyer auprès de sa famille et qu'il voulait découvrir le monde et que son rêve était de voir la mer et d'y chevaucher sur les vagues. Les vagues dont il avait entendu parler par d'autres troubadours, soldats et étrangers de passage…Ils cheminèrent ensemble au soleil couchant.

-         Morgane ne t'écoute plus, mais tu continues à raconter et à élucubrer…
-         J'aime bien…
-         Moi aussi, c'est pour ça que je t'aime, mais là il est tard et demain j'ai la prise de contact. Viens te coucher…
























CHOREGR'AFRIQUE


-         Ce jeu de mots n'est pas terrible…Personne ne va bien comprendre. T'es plus avec Raymond…Et puis c'est drôlement difficile à articuler
-         Je m'en fous, moi il me plait parce qu'il est de toi et puis qu'il n'est pas si mal que ça pour qui veut régler son compte à la danse classique, moderne et contemporaine en collaborant avec ceux qui sont venus me chercher….. Et ça va faire causer ces cons de critiques !
-         Rançon de la notoriété grandissante ! Au niveau jeux de mots, j'ai quand même fait mieux dans le genre, heureusement ! Bon à ce soir, bisou…

On avait réquisitionné le Père Ubu pour régler ces comptes. Brave Père Ubu, toujours prêt à rendre service…Clary avait travaillé avec des noirs américains, avec un ou deux beurs français, jamais avec des africains et elle savait que cela serait à la fois facile et difficile. Facile sur le plan relationnel, difficile sur le plan chorégraphique…Du moins c'est comme ça qu'elle voyait les choses jusque là. Jusque là, c'est-à-dire une ébauche d'idée de spectacle vraiment floue avec un recrutement un peu hétéroclite. Elle avait assisté à plusieurs galas et spectacles de danse africaine, parfois jusqu'à en être saturée et dans un laps de temps si court qu'elle n'avait pas eu le temps de tout digérer…Comme d'habitude elle savait ce qu'elle voulait ne pas faire et elle ne savait pas vraiment ce qu'elle voulait faire…Et puis il y avait ceux de sa compagnie qu'il n'était pas question de laisser tomber, même pour une saison, surtout en ces temps difficiles pour les intermittents du spectacle. Et eux, ils étaient blancs.
Quand elle réunit tout le monde sur le plateau, les africains se rangèrent à cour et les membres de sa compagnie à jardin, mais il n'y eut pas de mélange. Et tout ça s'était fait naturellement sans qu'il y ait préméditation. On pouvait donc mettre ça sur le compte du hasard, de l'instinct grégaire, de la force de l'habitude, cependant Clary y sentit une première gêne qui ne ferait que s'accentuer.
Pourtant les passerelles donneraient le change…Par exemple Merryl allait sûrement en draguer trois ou quatre fort bien bâtis. Pour l'heure elle faisait la tête de la danseuse étoile qui avait pâli et qui se demandait à quelle sauce elle allait être mangée… On s'inviterait, on se raconterait des banalités sur la différence des cultures.
 On ferait bien attention à ne froisser aucune susceptibilité, et bien d'autres précautions de gens policés. On visiterait Paris. On se ferait croire que la danse est un langage universel…
Clary parla longuement de son projet qu'elle avait vaguement abordé avec chacun individuellement ou par petits groupes au moment où elle avait fait son recrutement. Et comme elle le craignait il en ressortait quelque chose d'assez flou, dans lequel chacun faisait semblant, en opinant du chef, d'y retrouver une affinité qui leur convenait.
L'idée était de faire reculer les "ubus", malgré des réticences, et faire progresser et reconnaître la chorégraphie des danses africaines comme faisant partie intégrante de la danse et non pas comme une forme de danse plus ou moins folklorique ou exotique, bien à part, avec ses codes et ses rites et bien sûr ses limites…Les "ubus" représentant dans ce contexte la supériorité, l'hégémonie, et la xénophobie d'une danse américano-européenne ayant du mal à s'ouvrir aux autres cultures et ayant assez de problèmes internes pour mélanger subtilement classique, moderne, jazz et contemporain, sans compter le hip-hop, la break-dance et autres avatars de la culture "urbaine". Ils représentaient également la dérision et le grotesque de "l'establishment" face au prétendu côté tribal, animiste, vaudou, animal, et autres connotations péjoratives et racistes que pouvaient engendrer la perception de la danse africaine…Et ce  malgré l'engouement indéniable du public et des danseurs amateurs ou professionnels.
Clary ne savait pas si on la suivait bien jusque là. Elle sentait bien qu'elle délayait trop.
Les visages étaient graves, mais n'exprimaient pas assez ce qu'elle aurait aimé y voir, une once d'assentiment ou de partage….Elle continua.
Elle ne voyait pas les "ubus" être dansés uniquement par les membres de sa troupe, mais un mélange des deux pour ne pas rendre la chose trop manichéenne et trop simpliste dans son opposition…Elle avait envie de commencer par la démystification du pas de deux classique comme dans "Giselle" ou "Coppelia" en opposition avec une danse tribale de cérémonie initiatique pour jeunes africains des deux sexes…Les "ubus " danseraient les pas de deux, puis viendraient essayer de perturber la cérémonie initiatique qui se déroulerait presque en parallèle. Pour la musique on prendrait du Ali Farka Touré accompagné par Rye Cooder, par exemple. Elle proposa à Fabrice de faire un échauffement et des impros tournant autour du thème…Un peu plus tard, elle eut quelques mots malheureux sur la polygamie, sans aucune arrière-pensée. Boubacar lui fit remarquer avec aigreur qu'elle n'y connaissait rien et que lui-même avait laissé trois femmes au pays à qui il envoyait de l'argent de temps en temps. Elle fut à deux doigts de lui demander s'il n'avait pas oublié de faire exciser ses filles…Elle se contenta de lui répondre qu'il ne fallait pas compter sur elle pour faire la quatrième. Personne ne rit de ce trait d'esprit sur le plateau, où les circonvolutions s'étaient arrêtées…Puis elles reprirent doucettement, sans Boubacar qui était allé se changer. Clary en profita pour dire à l'assistant africain que s'il avait prérecruté des filles, un groupe mixte, des choses comme celles-là n'arriveraient pas. Ce dernier ne souffla pas un mot. On commençait dans une atmosphère tendue, s'il en est.
Plus tard, au moment d'une pause, Merryl et Irina lui firent remarquer gentiment que monter ce spectacle allait lui faire du bien, à elle qui faisait de plus en plus preuve, sinon de tyrannie, du moins d'une extrême fermeté…Mais c'était peut-être là la marque des grands chorégraphes, avaient elles perfidement insinué…Clary rentra chez elle un peu abattue.

-         Ça me fait chier qu'il n'y ait pas de femmes ! Tu te rends compte, pas de femme…C'est une façon pour celles qui viennent faire de la danse en europe de se libérer, de marquer leur différence, d'essayer de faire évoluer les mentalités, et nous on fait un spectacle sans elles ? Je n'ai pas été assez pro sur ce coup là. J'ai trop fait confiance, j'ai trop délégué. Je vais exiger qu'on engage des femmes et j'espère que le Boubacar va en profiter pour se casser… Je ne sais pas comment ça va évoluer !
-         Tu disais ça avec "Il persiste le cygne !" et ça a été un succès. Ce n'est pas plus mal de ne pas être trop sûre de soi en commençant. C'est par la suite qu'il faut se trouver et se forger la certitude que ça va marcher.
-         C'est bien une remarque de psychosociologue…Bon, je vais coucher Morgane et c'est toi qui racontes une histoire, comme d'ab ! Je me suis bien forgé cette certitude sur le partage des tâches…Et après je te fais ta fête !
-         Oh !...J'espère qu'il vont continuer à te faire douter !






















PSYCHE-ANALYSE


-         Elle est lourde cette boîte !
-          C’est une malle !
-          Allons, c’est une boîte, une grosse boîte, mais une boîte quand même !
-          Une malle !!!
-          Une boîte !!!!
-          Une malle !!!!
-          Bon, bon, d’accord…Je te ferai remarquer que je ne suis pas têtu ! C’est une malle…
-          Ah, merci… !
-          Y a pas de mal !...Qu’est-ce qu’il y a, tu boites ?
-          Je suis fatigué…C’est lourd, comme tu le faisais si bien remarquer…
-          Qu’est-ce qu’il y a dans cette boît…dans cette malle ?
-         Une femme… !
-          Ah, ah, ah, très drôle… ! Tu te moques de moi ?!
-         Toi, tu n’es pas têtu…, moi je suis sincère…Il y a une femme dans cette malle…
-         Mais une femme, ce n’est pas aussi lourd…D’ailleurs, si elle te voyait pester, maugréer, souffler comme un bœuf, elle serait vexée…Tu sais comment sont les femmes, si promptes à réagir quand on aborde le sujet de leur surcharge pondérale, même fictive… !
-         Crois ce que tu veux…Dans cette malle, il y a une femme !
-         Une femelle dans une malle, c’est assez cocasse !...Non, mais trêve de balivernes, tu me fais marcher, là ?
-          Ecoute, si tu ne me crois pas…Des fois, elle se met à parler
( A ce moment la, une voix se fait entendre )
-         Nous sommes arrivés ? Pour quoi est-ce que nous nous sommes arrêtés ?
-          Mais c’est une voix de femme !
-         Qu’est-ce que je te disais !
-         Mais pourquoi l’enfermer, la séquestrer dans une malle ?
-          Pour être sûr de l’avoir toujours avec moi, pour ne pas perdre ce que j’ai de plus précieux, auquel je tiens comme à la prunelle de mes yeux.
-         Mais tu n’ouvres jamais la  malle ? Tu ne la laisses pas sortir un peu ?
-          Non !
-           Elle est belle ?
-          A en mourir !
-          Mais c’est elle qui va mourir ! Je veux la voir, je vais ouvrir cette malle !
-          Ne fais pas ça, je t’en conjure !
-          Dis-moi au moins à quoi elle ressemble !?
-          Evanescente, diaphane, troublante, secrète, enjôleuse, gracieuse, câline, maternelle, gourmande, mais aussi jalouse, rebelle, inquisitrice, bavarde, sentencieuse, avare…Aucun peintre ne réussirait à la peindre et à rendre ces contradictions en faisant ressortir toute sa glorieuse beauté….
-          J’ouvre la malle, je n’y tiens plus !! 
-         Non…. !
-          J'ouvre…!...Il n’y a rien dans la malle ! Elle s’est fait la malle, elle a réussi à s’enfuir… !
-         Je sais !
-          Qui c’est qui parlait alors ?
-         Je suis ventriloque…Je n’ai pas su la garder. C’était mon secret !
-          Je comprends pourquoi il était lourd à porter… Viens on va en chercher une autre !
-          Tu crois qu’on va trouver ?
-          Ne sois pas pessimiste…Elle peut être partout ! Partout où ton œil se pose.
-          Tu l’as déjà vue ?
-          Des centaines de fois !
-         Décris-moi la !
-         Je l’ai connue pour la première fois il y a fort longtemps, quand j’étais un demi-dieu, Eros m’appelait-on…
-          Tu as été un demi-dieu, toi ?! On ne le dirait pas à te voir…
-         Ne m’interromps pas !... Elle s’appelait « Psyché »…Certains prononcent avec un ch., comme dans chanson, mais il ne faut pas les imiter…
-          Tu es encore plus fou que moi, toi ! Un vrai psychépate !
-          Chut…Je l’ai emmenée dans un palais enchanté où je lui rendais visite toutes les nuits. Je lui jouais de la musique, je l’aimais... Je lui promis un bonheur durable si elle ne cherchait pas à connaître mon visage…Mais une nuit, elle a allumé une lampe, m’a vu, une goutte d’huile est tombée sur moi et le palais s’est évanoui…Elle est tombée dans un enchantement, elle est devenue une fée, qui se matérialise partout, dans la rue, dans un champ, sur la mer, dans un palais, dans une chaumière…
-         Dans un H.L.M. ?... ?
-          Partout, je te dis…Parfois, elle réapparaît et me fait des petits signes. Je la suis…Elle m’emmène loin…Loin, aux confins de l’entendement et de l’imagination. C’est ma psyché à moi, c’est ma muse, je finirai par la reconquérir définitivement…
       Enfin c’est mon analyse ! En tous cas, j'ai terriblement besoin d'elle pour mon inspiration.
-         Ça fait longtemps que tu suis une psyché-analyse, comme ça ?
-          Tais-toi, mécréant ! Arrêtons nous, j’ai soif ! Il y a une auberge.
-          Moi, j’ai faim !
-          Moi aussi j’ai faim…de la revoir encore et encore…Elle m’affame !
-          Elle, ta femme ?
-          Chut, je sens que je vais bientôt la voir.
-         Entrons…
-         Qu’est-ce qu’on fait de la malle ?
-          Ah…La boîte ? Laissons-la là !...Entrons
(Ils entrent dans l'antre, mais ce n'est pas une simple auberge ou l'on peut se sustenter et puis s'en aller comme on est venu…Les choses sont toujours plus compliquées avec les artistes et d'ailleurs, on dit toujours : Avec vous, les artistes…!...sans jamais vraiment finir sa phrase. En laissant toujours ce non-dit lourd de sous-entendus et de sens caché…Bref, ils entrent, à leurs risques et périls. )





-         Entrez messieurs !
-         C'est encore toi qui fais le ventriloque ?
-         Mais non, ne parle pas trop fort ! Je sens des ondes bizarres…
-         Vous vous appelez comment ?
-         Moi ? Mat.
-         Et vous ?
-         Moi…
-         Ben oui, vous ! Vous vous appelez comment ?
-         Lewis Lou
-         Mais ce sont vos noms de scène…J'aurais voulu vos vrais noms. Je comprends, vous avez soif de création, vous avez faim de reconnaissance. Vous voulez faire du "pestacle" !
-         On dirait un interrogatoire de police.
-         C'est pour ça que tu chuchotes?
-         Il a raison Lewis Lou, ce n'est pas la peine de chuchoter…J'entends tout, je suis partout. Qu'est ce que vous croyez ?...Que tout est psychidyllique dans la création artistique ? Ne fantasmons pas, que diable !
-         Mais, nous…
-         Taisez-vous Mat, ce n'est pas vous qui décidez, je suis "l'inspiration" et il va vous falloir apprendre à composer avec moi. Je relève de la psychéiatrie…Traduisez je suis complètement folle. Je suis constamment sur la frontière entre l'entendement et la folie. Je reflète le beau, le pur, l'essentiel, mais aussi le bizarre, l'étrange et l'iconoclaste et j'enferme le créateur et le public dans leurs contradictions…Par contre, ce n'est pas moi qui décide si vous deviendrez célèbres ou non, ça m'échappe complètement et d'ailleurs ça ne m'intéresse pas du tout. On n'est plus dans la psyché-analyse, on est dans l'inconscient et le conscient collectif….On n'est plus dans le subjectif-objectif, on est dans l'objectif-subjectif…Je ne sais pas si vous me suivez…
-         Difficilement…
-         Mais ta gueule, il ne faut pas dire ça !
-         Ah, maintenant c'est toi qui chuchotes…
-         Il a raison Mat. Je viendrai vous visiter à n'importe quel moment. C'est où je veux quand je veux ! A ce propos, les hommes ne profitent jamais assez des quelques minutes de lucidité après l'orgasme. A bon entendeur salut !
-         On est dans le subjectif là ?
-         Ta gueule Mat, elle va nous avoir dans l'objectif après…
-         On dit le collimateur…
-         Filez, gros malins, et attendez mon bon vouloir, toi le musicos et toi le petit écrivaillon ! Et pas de psyché-drames !

Ils sont quasiment poussés dehors de "l'auberge"
-         C'était un peu dévalorisant non ?
-         Pas du tout, ne soyons pas trop exigeants. Nous allons cultiver notre différence…Tiens une jeune fille…Tu, tu, tu t'appelles Amandeen toi, non ?
-         Oui, oui, oui !
-         Si tu as soif de créer et faim de reconnaissance comme nous, suis nous.
-         D'accord ! Je connais des bonnes adresses…On va commencer par une bonne pizza et un bon petit chianti, après on verra. J'espère que vous n'allez pas me créer trop d'ennuis…