DIX
K'
T A T U R E S !
LE
FÂCHEUX DESTIN
de
"PYGMÉE LÉON"
et
de SON ROYAUME.
Le petit prince
aimait jouer avec ses poupées. Il était appelé à régner sous le nom de Léon X.
Sa mère l'avait surnommé affectueusement " Pygmalion ". Mais il avait
développé très tôt un caractère méchant et acariâtre tellement il était étouffé
par elle. De surcroît, il était souffreteux et nabot. Les chansonniers et les
troubadours, repris par les méchantes langues du royaume l'avaient affublé du
sobriquet de "Pygmée Léon".
Il allait passer sa vie à se venger en faisant souffrir
d'autres poupées, ses sujets.
Il commença par exclure les gens " petits " par la
taille, même s'il étaient grands par le savoir ou le talent. Ils lui
rappelaient trop son infirmité. Il les bannit du royaume et ceux qui eurent la
mauvaise idée de vouloir rester ou ne purent pas fuir quand il était encore
temps, se retrouvèrent dans ses geôles et furent probablement torturés ou
moururent de faim et de désespoir. Si bien qu'il fut bientôt presque le seul "petit"
individu du royaume.
Ensuite, dans sa folie et son besoin pathologique de se venger,
il s'attaqua aux "grands". Là encore il ne s'agissait que des
personnes d'une taille respectable, que l'on voyait parfois marcher d'un la rue
avec un port altier et une fierté non dissimulée, se croyant à l'abri de
l'ire et de la démence du monarque. Eux
aussi furent chassés, déportés, emprisonnés, parqués dans des camps où on leur
fit subir les pires humiliations en même temps qu'on les tua et qu'on les
extermina à des tâches surhumaines…Et l'on vit de bien tristes spectacles dans
les rues et les lieux publics, de gens se courbant, se cassant en deux,
déambulant avec des démarches grotesques, pour ne pas être enlevés par la
milice.
Puis il s'attaqua aux femmes, toutes les femmes, laides,
belles, acariâtres, sèches, bonnes, sensibles, douces, aimantes, à qui il
supprima tous les droits et qu'il fit parquer comme du bétail, afin que la
plupart d'entre elles servent seulement à la reproduction. Quant à sa mère, il
la fit exiler fort loin, croyant qu'il se débarrasserait ainsi du poids qui le
poussait de plus en plus vers une folie aveugle et rédhibitoire.
Toutefois, et il le savait, comme dans toutes les
dictatures, une résistance, une armée secrète s'était formée, aussi bien,
malgré les risques, dans son propre pays que hors des frontières. Et cela le
rendait bien sûr encore plus méfiant, plus malade, plus fou et plus
sanguinaire.
Dans ce qu'il restait des individus de son royaume,
autrefois florissant et surpeuplé, il s'attaqua pêle-mêle aux riches, aux
pauvres, aux gens de couleur, à certains corps de métier dont il se méfiait
davantage, bref à tout le monde…
Le soir, il s'enfermait seul et jouait avec ses poupées…
C'est là que la résistance finit par trouver la faille et un
de ses pantins-ministres, lassé de toutes ces années de furie, de mort, et de dictature, empoisonna sa poupée
favorite.
Il mourut dans d'atroces convulsions devant le regard
impassible de quelques courtisans.
La république fut déclarée. Le pays mit plusieurs années à
se relever de ses ruines.
CELUI QUI DICTE
Il rentra au
gouvernement par la petite porte, à un poste tout à fait subalterne…Petit
fonctionnaire zélé, propre sur lui, des études honorables sinon brillantes, bien
marié, des enfants inscrits à l'école privée, faisant de régulières apparitions
à la messe, une vie de petit grand bourgeois bien réglée comme en aiment les
électeurs bien pensants.
Un jeu de chaises musicales au gouvernement, à la suite
d'une crise provoquée une nouvelle fois par ces étudiants rebelles, le propulsa
à un poste à responsabilité auquel il n'était pas préparé. Il devint sinistre
de l'éducation. Il s'était contenté de dicter quelques lettres à une secrétaire
aussi veule que lisse, il se mit à édicter quelques réformes et quelques
projets de loi…C'est à ce moment là que madame lui fit part de la mauvaise note
en dictée qu'un professeur avait eu l'outrecuidance de mettre à leur fils. L'apprentissage
de l'orthographe passa à la trappe… Dans son parcours politique il devint
successivement sinistre des armées et sinistre de la justice édictant à chaque
fois lois et règlements qui en faisaient grincer plus d'un.
Il devint ainsi une des cibles préférées de
l'opposition…Cette ascension politique renforça son intransigeance naturelle,
son égoïsme cynique et son égocentrisme à tout crin. Les arcanes du pouvoir lui
apprirent aussi à se méfier de tout le monde et à ne compter que sur lui-même.
Quand le pays bascula dans le chaos politique, grâce à la
rivalité et l'incompétence des Sarkopin, Villezy, Jean-Marie Stylo et autres
Segolène Couscous devant le énième krach boursier, il apparut à certains comme
l'homme providentiel…Il prit le pouvoir.
Fort de son expérience, et des liens qu'il avait tissé dans
tous les sinistères, il ne mit pas longtemps à concentrer entre ses mains tous
les pouvoirs, législatifs, exécutifs, militaires, policiers en prenant soin de
s'entourer de conseillers et de collaborateurs pusillanimes et obséquieux,
révocables à tout instant selon le bon vouloir et le fait du prince.
Il se mit à dicter et à édicter toute une batterie de lois
propres à lui permettre de diriger le pays d'une main de fer, en éliminant
toute forme de contestation politique, sociale, intellectuelle et
philosophique, en réprimant toute tentative de transition démocratique ou putschiste
du pouvoir…Il dicta et édicta à tort et à travers dans la plus pure démagogie
engendrée par cet état de despote non éclairé, de tyran, de
"Président" aux destinées d'une nation…
Ainsi fallait-il que
:
-
Les partis approuvent, ou partent, de préférence en
exil…
-
Les hommes politiques restent polis et ne tiquent pas…
-
Les femmes pondent ou craignent l'infamie…
-
Les banquiers banquent…
-
Les commerçants commercent, même si ce n'est pas
équitable…
-
Les consommateurs consomment sans lancer de sommation à
cette société de cons…
-
Les professeurs professent..ce que les programmes
préconisent, sinon gare à leurs fesses.
-
Les juges jugent…avec jugeote…
-
Les avocats se défendent bien de défendre ce qui est
défendu…
-
Les pdg pédègent, mais craignent pour leur bonne
fortune…
-
Les ouvriers ouvrent et la ferment !…
-
Les petits patrons entreprennent et payent leurs taxes…
-
Les chefs de tous ordres ( de gare, d'établissement, de
chantier, etc…) restent petits…
-
Les scientifiques sachent bien que science sans
conscience n'est que ruine de l'âme…
-
Les riches soient "pétés de thunes", mais
évitent de trop "se la péter"…
-
Les pauvres aillent à la messe…
-
Les militaires contrôlent et ne militent pas…
-
Les artistes artent bien, artent officiel…
-
Les peintres peignent "bien", sous peine de
se faire démolir le portrait…
-
Les sculpteurs sculptent et érigent de nombreuses statues
à ce culte du "Président"…
-
Les architectes architectent tout avec l'aval du
pouvoir…
-
Les dessinateurs dessinent et se méfient de ses noirs
dessins…
-
Les caricaturistes caricaturent tout sauf sa tête pour
sauver leurs têtes…
-
Les plasticiens plastiquent en solitaire, mais sans
trop se marrer…
-
Les designers designent sans être désignés à la
vindicte…
-
Les stylistes stylent en suivant la mode officielle…
-
Les acteurs actent et prennent acte de leur rôle
important mais toujours contrôlé…
-
Les metteurs en scène évitent de mettre en scène leur
propre déchéance…
-
Les filmateurs filment et abrutissent le bon peuple
avec des histoires qui finissent bien…
-
Les chanteurs chantent les chansons qui ne font pas
déchanter le "Président" et le public...
-
Les monstres sacrés du chaud biz lui baisent les pieds
pour les lui tenir au chaud…
-
Les présentateurs de télévision soient les véritables
porte-parole du gouvernement…
-
Les censeurs censurent et encensent le gouvernement et
son "Président"…
-
Les conteurs content les bons contes qui font les bons
amis…
-
Les poètes poètent en vers et contre tous, sauf contre
le "Président"…
-
Les humoristes ne jouent pas avec les mots, ou en
meurent comme Raymond Devos…
-
Les écrivains écrivent en utilisant la "bonne
parole"…
-
Les penseurs tournent sept fois leurs neurones avant
d'émettre la moindre pensée…
-
Les blondes ne pensent pas…
-
Les touristes dépensent, sans compter, et s'en aillent…
-
Les infirmières pansent les nombreuses plaies, sans
s'occuper de celles de la société…
-
Les jeunes jeûnent malgré leur faim et leur soif de
vivre…
-
Les vieux meurent en laissant à l'état de nombreux droits de succession…
-
Les étrangers aient bien conscience du caractère
fragile de leur condition sociale…
-
Les juifs circoncisent leurs critiques et se
souviennent de la shoa, c'est là leur seul choix...
-
Les arabes le vénèrent comme le seul prophète…
-
Les beurs ne mettent rien dans les épinards…
-
Les antisémites antisémitent, un point c'est tout…
-
Le Front National n'ait pas le front de le contredire…
-
Les protestants protestent en silence…
-
Les catholiques croient en dieu, mais ne se croient à
l'abri de rien…
-
Les témoins de Jehova témoignent de leur attachement à
la "Présidence"…
-
Les immigrés migrent quand il le faut…
-
Les banlieues restent loin des centre-villes…
-
Les gays et les zomos disparaissent à tout jamais…
-
Les psychologues psychent sans se poser trop de
questions…
-
Les sociologues sociolent sans poser trop de questions
à la société…
-
Les philosophes philosophent en remettant en cause
Darwin…
-
Les psychanalystes psychanalent uniquement pour faire
du pognon…
-
Les docteurs doctent et soignent d'abord le
"Président", ensuite les autres…
-
Les malades acceptent la médecine à deux vitesses, et
même avec la marche arrière…
-
Les aveugles ne voient pas le bout du tunnel…
-
Les sourds n'entendent rien à toutes les nouvelles
réformes…
-
Les handicapés ne bloquent plus les ascenseurs et les
bouches de métro…
-
Les sportifs gagnent quand ils représentent leur pays…
-
Les supporters s'égosillent comme des bêtes et
supportent tout le reste sans rechigner…
-
Les grosses bites ne s'enorgueuillissent pas trop, un
impôt étant en préparation…
-
Les petites bites travaillent sans relâche à la
reproduction…
-
Les putes cent fois sur le plus vieux métier du monde
remettent leur ouvrage…
-
Les fils de putes d'étudiants étudient ce qui est au
programme et rien d'autre…
-
Les blagueurs blaguent en se limitant au cul, aux
blondes, et aux étrangers…
-
Les blogers bloguent en s'autocensurant…
-
Les internautes surfent sur la vague des nouvelles
technologies hautement filtrées…
-
Les sdf ne soient jamais fixés sur leur sort…
-
Les flics fliquent, tabassent et mettent tous les
opposants en prison…
-
Les gardiens de prison fassent croupir tout ce joli
monde dans des prisons vétustes…
-
Les indics-tâteurs enfin tâtent le terrain en
permanence et reniflent, subodorent, localisent, dénoncent, livrent tous les
mal-pensants, contestataires, libres penseurs, démocrates, anarchistes,
iconoclastes, prosélytes pour tuer dans l'œuf toute menace de changement, rébellion,
évolution, révolution, perte du pouvoir absolu.
L'exploitation systématique des rancoeurs nationalistes, des
difficultés économiques et sociales, de la division des opposants en exil,
permit au dictateur de continuer à dicter et édicter des lois, règlements et
codicilles de plus en plus scabreux et contraignants tout en se maintenant au
pouvoir…Et comme pour Franco, ou Castro, on fut obligé d'attendre qu'il meure
pour que le pays des droits de l'homme retrouve les libertés les plus
élémentaires et une stabilité démocratique.
Il reste de nos jours quelques nostalgiques de cette
dictature, mais ils sont fort heureusement une poignée.
SON
OF A BEACH
Henri s'ennuyait ferme à la poste de
Gemozac. Le receveur n'était pas là, ses collègues étaient partis en vacances.
Il avisa une vieille lampe poussiéreuse qui traînait sur une étagère de la
réserve. Il la prit entre les mains. Elle pesait quand même son poids. Ce
n'était pas une lampe très originale. On en trouvait des quantités
industrielles dans les foires à la brocante et Henri jugea inutile de la
subtiliser pour essayer de la vendre. Un client entra dans la poste, il reposa
la lampe…Quand il en eut fini avec le client, il revint dans la réserve et
empoigna de nouveau la lampe, puis se munit d'un chiffon pour l'essuyer
consciencieusement…Tout à l'heure, la vieille dame l'avait regardé d'un air
choqué quand il l'avait servie avec des doigts pleins de poussière. Puis il
entreprit de la faire briller et se mit à frotter énergiquement. C'était le
premier travail pénible qu'il effectuait depuis longtemps dans le bureau de poste…Et
tout à coup le miracle se produisit. Il y eut un flash et puis une grosse fumée
envahit le réduit, fumée qui piquait les yeux et obligea Henri à fermer les
siens. Quand il rouvrit les yeux un personnage flottait dans l'air, immense et
tremblant, non pas de peur mais comme dans les dessins animés en 3d. Henri
était en train de faire connaissance avec un génie, ce qui, il faut bien le
reconnaître, n'était pas donné au premier venu. Pourtant ce génie ne
correspondait pas du tout à l'image qu'on en donne dans l'imagerie
traditionnelle, ou dans les films pour enfants.
Point de turban ou de costume chamarré brillant de mille
feux sous les rayons de soleil. Cet Aladin charentais portait le béret et avec
sa baguette de pain sous le bras et sa paire de boules de pétanque à la main,
il avait l'air d'un plouc. Mais Henri évita soigneusement de lui en faire la
remarque.
Bien évidemment, le génie entreprit de le remercier, ce qui
était bien le moins qu'il pouvait faire et tint à Henri à peu près ce langage…:
Qui que tu sois, je te re..
"Je m'appelle Henri" dit Henri
" Peu importe ton nom ! Ecoute-moi plutôt, chanceux
mortel, je suis le génie des lampes des réserves de bureaux de poste et je te
remercie de m'avoir délivré de mon sort…" Il y avait donc bien un génie des
bureaux de postes et Henri était bien content de le savoir, car les autres
personnes qu'il y côtoyait étaient loin d'être des génies. De plus Henri venait
d'apprendre qu'il était mortel, mais chanceux, la suite ne pouvait donc qu'être
alléchante.
" Tu as droit à trois vœux, mortel chanceux…Utilise les
avec sagesse et circonspection."
Comme Henri ne bougeait pas, pétrifié par l'enjeu, et se
demandant si tout compte fait il ne rêvait pas, car Henri était loin d'être un
imbécile, le génie ajouta: " J'ai attendu trop longtemps dans cette lampe,
alors active un peu si tu veux bien,…au fait il y a bien un concours de boules
dans le canton?...Alors, quel va être ton premier vœu ? "
Henri parcourut du regard la réserve sinistre et dit :
" Je voudrais être sur une île déserte, avec des cocotiers, du sable doré
et l'eau transparente d'un lagon, comme on le voit dans certains films."
Henri aimait le dépaysement.
Le génie le regarda, attrapa une bouteille de pineau sur une
étagère, celle qu'on gardait pour les anniversaires et les fêtes, avec des
cacahuètes qui devaient être rassies, et après une bonne lampée dit : "
Accordé ! " Et pouf!!!! Henri se retrouva là où il l'avait demandé…Il tâta
le sable, puis se déshabilla comme un fou, se retrouva en short, Henri portait des
shorts et non des slips, et plongea avidement dans l'eau bleu-verte du lagon.
Pendant ce temps le génie, en marcel un peu crado, avec une
transpiration sous les bras propre à éloigner les moustiques les plus coriaces,
attendait qu'Henri ait fini son bain. Quand ce dernier sortit inopinément,
croyant avoir vu un barracuda, on n'est jamais trop prudent, il l'invectiva :
" Dis, j'ai un peu chaud là…Ton deuxième vœu ? "
" Ah oui, c'est vrai…" dit Henri, qui avait
complètement oublié. " Heu, voyons…" fit-il entièrement dégoulinant
" Je voudrais être entouré de super belles nanas, folles de mon
corps."
Le génie marqua une pause, due probablement au fait qu'il
doutait que des nanas puissent être folle du corps d'Henri, sans un sérieux
coup de main de la magie qu'il pouvait lui dispenser. Soupirant un bon coup, il
lui dit : " Henri, Henriiii, tu me déçois. Bien sûr que je peux
concrétiser tes aspirations, mais profites-en pour demander quelque chose de
grand, d'exceptionnel ! Enfin Henri, grandis-toi, gonfles-toi, surpasse-toi
!!!"
Un éclair de folie passa comme un voile dans les yeux
d'Henri. " Je voudrais régner en maître absolu sur ce territoire ! "
Et dans un élan poétique qu'on ne lui avait jamais connu, il ajouta : " Je
veux qu'on m'appelle Le fils de la plage !"
" Ah, voila qui est bien mieux ! " dit le génie,
qui se demanda tout de même ce que le receveur de la poste de Gémozac avait pu
faire endurer à ce pauvre Henri. Le reste se déroula comme dans un bon ou un
mauvais film, selon les penchants cinéphiliques de chacun.
Un magnifique palais apparut, avec pour l'occuper tout un aréopage
de serviteurs plus ou moins fidèles, de ministres plus ou moins véreux, de
superbes filles qui n'avaient pas été
oubliées et qui faisaient subir à Henri les
outrages les plus alambiqués, au risque de fatiguer son cœur. Pour nourrir,
divertir cet aréopage et faire fonctionner le tout correctement, une horde de
commerçants, de paysans, d'ouvriers, de cadres plus ou moins supérieurs, de
techniciens, apparut dans le paysage. Tout cela engendra une pollution et une
instabilité politique qui défigura le paysage durablement. Cela demanda surtout
beaucoup de travail à Henri, qui fut obligé de courtiser certains, d'en
emprisonner d'autres, de se méfier de tout le monde, d'édicter force lois et règlements
de plus en plus autocratiques. Ce n'était pas une mince affaire que d'être un
monarque absolu et peut-être hors de portée d'Henri. Pourtant, il essayait,
essayait, il contrôlait toutes les intrigues, toutes les mafias, parquait tous
ceux qui n'avaient plus sa confiance dans des geôles infâmes. Il baisait, mais
surtout essayait de ne pas se faire baiser, il taxait, censurait, exilait,
fomentait, arrêtait, condamnait arbitrairement, décidait, refusait toutes négociations
et critiques et finissait épuisé le soir, s'endormant en faisant de terribles
cauchemars.
Au bout de quelques temps, le génie, fatigué de jouer à la
pétanque avec toujours les mêmes adversaires qui le laissaient gagner, vint
voir Henri le monarque absolu. Il le surprit à un moment où il était extrêmement
fatigué : " Dis, Henri, fils de…"
" Sire ! " répondit Henri.
" Oui, pardon Sire ! Si on parlait de ton…, pardon de
…votre troisième vœu !"
" Ah, mon bon génie, j'ai trop de travail, trop de travail,
tout cela m'épuise…J'en ai assez, assez ! Je ne veux plus travailler ! "
" Accordé ! " dit le génie…Et pouf!!! Henri se
retrouva à la poste de Gémozac…Ainsi en allait-il de son destin.
On ne sait trop ce qu'il advint du génie, mais, bien que
Gémozac ne se trouve pas en Provence, il y avait en Charente-maritime
suffisamment de clubs de pétanque pour l'occuper un bon moment.
PETIT
ŒIL
Petit œil
s'ouvrit au monde et décida de partir voir ce que les hommes en avaient fait.
Sa maman lui avait dit : " Va, vis et deviens ! " Elle lui avait fait
de nombreuses autres recommendations. Une maman reste toujours une maman. Elle
lui avait dit aussi de ne pas se mélanger avec ceux qui vont par deux, ceux qui
ne se séparent jamais, sauf incident, de leur alter ego, ceux qui pétillent
ensemble, ceux qui pleurent ensemble, bref ceux que l'on nomme les yeux….Non,
lui était unique et tel était son destin et c'était dans ce caractère unique
qu'il lui fallait trouver sa voie.
Il rencontra le
Mauvais Œil, qui lui raconta de bien tristes histoires. Des histoires de
vengeance, de mesquinerie, de bassesses, de vindictes, de mauvais sorts jetés
sur des êtres fragiles et désemparés. Il aurait bien voulu céder sa place à
Petit Œil, car, disait-il, il se faisait vieux et commençait à manquer
d'imagination, mais Petit Œil déclina l'offre et dontinua ses pérégrinations de
par le vaste monde. D'autant plus qu'il voyageait à l'œil.
Un beau jour il rencontra Salvador. Ce dernier venait de
finir son tableau et dans une de ses terribles colères dont il avait le secret,
il s'apprêtait à l'éventrer, le déchirer, le brûler. Petit Œil trouvait le
tableau plutôt joli et original, et d'un seul regard arrêta la main de
Salvador. Ce dernier s'effondra sur sa chaise, se prit la tête entre les mains,
regarda à son tour Petit Œil, puis son tableau, et il s'agenouilla devant Petit
Œil pour le remercier. Il lui proposa de rester avec lui. Il avait besoin,
disait-il, d'un œil neuf pour pallier aux insuffisances de l'œil du maître.
Mais Petit Œil, préféra continuer son chemin. Il promit à Salvador de ne pas
collaborer avec Pablo, ni avec Anton et Joan.
Un œilleton rencontré par hasard devant une porte, lui
proposa de se ficher dans la porte d'a-côté. Il lui tiendrait ainsi compagnie
quand il n'y aurait point de concierges, de représentants ou de voisins à
dévisager et à surveiller. Mais Petit Œil qui commençait à en avoir vu de
toutes les couleurs, lui dit qu'il s'en fichait. L'autre lui répondit que s'il le
prenait sur ce ton, il pouvait passer son chemin. L'oeil de la caméra essuya le
même refus…C'est que Petit Œil commençait à avoir de l'expérience. Petit Œil
devenait grand.
Certains prétendaient l'utiliser pour aller observer les
femmes nues sous la douche, et dans des gymnases fétides et puant la sueur de
surcroit. D'autres voulaient l'empêcher de se fermer à la lumière pendant des
nuits entières, des timides auraient bien aimé qu'il détourne le regard de la
belle qu'ils convoitaient, mais à chacun il opposait une résistance têtue,
quoique bienveillante. Tout cela n'était pas de tout repos, et maintenant Petit
Œil atteignait une certaine maturité. Il avait grandi à vue d'œil, mais il
continuait à s'appeler Petit Œil parce que ce sobriquet lui plaisait.
Un jour, tout a fait par hasard, au cimetière de Peypin
d'Aigues dans le Vaucluse, il rencontra l'œil de Caïn. Ils prirent un petit
moment pour discuter. L'œil se plaignait beaucoup de l'inconsistance de Caïn
qui ne daignait pas le regarder. La culpabilisation de ce dernier était du coup hasardeuse. L'œil avait
donc envie de changer d'horizon…Par contre il ne supportait pas la
réverbération du soleil de Provence et il demanda à Petit Œil s'il n'avait pas
un verre de lunette noire. Petit Œil lui répondit que Afflelou était fou, mais
pas au point de faire des lunettes à un seul verre pour les rares cyclopes
susceptibles d'être clients.
Ce n'était pas assez rentable. En même temps notre œil
aimait bien son caveau, où il avait ses
petites habitudes, et où une douce fraîcheur régnait…Il avait aussi peur du
nouveau, peur du changement d'air et du changement d'ère…Bref, le type
compliqué qui ne sait pas ce qu'il veut. Petit Œil le laissa déblatérer et
radoter tout seul et ne s'attarda pas en sa compagnie.
C'est à ce moment là qu'il rencontra "Big Brother"
Il ne s'agissait ni plus ni moins que de surveiller tout le monde et le tout un
chacun partout dans le pays, sur la terre et dans les airs, à tout heure, à
chaque seconde, où qu'il soit, quoiqu'il fasse, quoiqu'il dise, quoiqu'il pense…Petit
Œil, doutant d'être capable de mener à bien une telle mission, ne voulut pas
prendre de telles responsabilités. Mais Big Brother insista et Petit Œil tomba
dans le piège.
Celui de la flatterie. Et on avait dit beaucoup de bien de
lui et on le lui avait recommandé, et il avait tant de qualités, dont la
principale était d'être tel le caméléon.
" Voila ce que je te propose, je te fais en sorte le
gérant de mon entreprise. Je te donne un code source et tu rentres partout, tu
t'insinues partout, tu surveilles tout…"
" Encore des femmes nues sous la douche ?"
" Big Brother est vieux, mais il n'est pas libidineux !
Il veut simplement que chacun ait conscience qu'il n'est pas libre sur cette
terre ! Voila comment tu vas faire…Tu vas percer un trou dans chaque
habitation, chaque maison, chaque appartement, chaque pièce…" Petit Œil
pensa immédiatement à son copain l'œilleton qui pourrait lui rendre
service…"…et t'y démultiplier, tu vas te ficher dans le mur et y rester
comme une sorte de miroir…
Mais pas n'importe quel miroir…Un qui leur renvoie leur
culpabilité s'ils ne pensent pas comme il faut, qui leur renvoie la laideur de
leur non-conformisme, de leur iconoclastie, de leur libre-arbitre. Quand ils le
regarderont, ils seront laids ! D'ailleurs on appellera ça la :
"T'es
laid-vision"! Ils auront toujours le choix d'allumer un programme que ton
iris diffusera qui leur fera oublier tout ça. Un programme fait d'informations,
d'animations, de jeux, savamment choisis et censurés pour les abrutir et les
empêcher de penser. Un de mes illustres prédécesseurs, Julius Caesar appelait
ça : "Panem et circenses". Tu y perd ton latin…" Du pain et des
jeux ". Ainsi seront-ils prisonniers de mon modèle parfait.
" Ils n'auront jamais envie de changer de chaînes ?
C'est pourtant le propre de tout individu emprisonné pour ses idées et non pour
ses actes répréhensibles…"
" Je compte sur toi pour qu'il n'en soit jamais ainsi. Soit imaginatif et crée
leur des rêves, des fantasmes, des illusions qui le leur fasse oublier ! "
Petit Œil ne comprenait pas grand-chose à la politique, mais
il sentit tout de suite le côté malsain et psychopathe de l'entreprise. Il
s'éloigna de ce grain de folie.
Mais un autre grain l'attendait. Un jour Petit œil fut pris
dans un cyclone, y joua un rôle prépondérant et comme Molière mourut sur scène.
Petit œil demanda au
cyclone comment il s'appelait. C'était une fille cyclone. Je, je, je…commença
la cyclone et le reste se perdit dans une bourrasque particulièrement violente
qui faillit éjecter Petit Œil au loin. Quoi…?, demanda Petit Œil en se
rééquilibrant et en se lovant au centre, bien au chaud comme dans une matrice…M'appelle,
m'appelle, m'appelle…souffla la cyclonette de plus belle. L'effet d'écho
faisait une impression bizarre dans le déchaînement des éléments…Amandine,
Amandine, Amandine…s'entêta à répéter la sauvageonne. Ça va, j'ai
compris…répondit Petit Œil…Et où te rends-tu ainsi galopante Amandine
?...Dévaster certaines contrées, car tel est mon destin…Petit Œil réussit à
amadouer Amandine, pourtant fort têtue, et ils allèrent mourir ensemble sur
l'océan, provoquant seulement une tempête de tous les diables.
SOUTE STORY
Le sac à dos,
enturbanné, bien enroulé dans sa gangue de rouleau adhésif, tomba dans la soute
au milieu de centaines de congénères. " Où suis-je ? " s'enquit-il
immédiatement.
Une valise au ton un peu rogue qui se trouvait juste à côté
de lui, l'apostropha : " Epargne nous les Qui suis-je ? et les Où
vais-je ? existentiels. Regarde dans quel état tu erres ! "
Le sac à dos n'errait plus, mais était dans un état assez
lamentable, cul par-dessus tête, position fort désagréable s'il en est. Il
n'eut pas le temps de demander à ce qu'on le retourne, qu'un autre sac à dos,
beaucoup moins fringant et présentable que lui le heurta en haut de la pile et
le fit dévaler jusqu'en bas, ce qui eut pour effet de le remettre dans une
position plus conforme au bien-être. La petite valise de tout à l'heure l'avait
suivi dans sa chute et gisait à ses côtés.
Sous ses airs peu avenants, elle lui était sympathique. Elle
ne payait pas de mine, une prolétaire égarée dans ce capharnaüm. Quant à lui,
bien que de fabrication noble, il n'avait pas le sens aigu d'un élitisme
méprisant. Il en avait vu d'autres, et de toutes les couleurs, alors…
" T'es là depuis longtemps ? " fut la première
phrase sensée qui lui vint à l'esprit dans une telle situation. " Un
certain temps ! " répondit amèrement la petite valise. C'est là que le
sac, qui n'avait jamais quitté son dos ou son placard, comprit que la situation
s'avérait compliquée.
"Je ne sais pas quel est ton but dans la vie, mais pas
le rebut !"
"Et c'est le but !" hurla un sac de sport fatigué.
Fatigué, non pas par un exercice constant et soutenu, pas au sens propre du
terme, mais fatigué sous toutes les coutures.
" Il hurle souvent comme ça ?"
" On devient tous un peu fous ici, tu verras ! "
Et cette petite phrase ne présageait rien de bon.
" On veut sortir ! " Les culottes enfermées dans
notre sac à dos, faisaient presque autant de bruit que le sac de sport,
supporteur d'une imaginaire partie de soccer, supporteur d'une hystérie à
laquelle ils étaient tous confrontés à un moment où à un autre…
Une nouvelle série de valises et de sacs balancés par une
trappe vint heurter notre sac à dos, dont une boucle se défit. Comme l'autre
boucle avait précédemment souffert au cours de pérégrinations par le vaste
monde, cela eut pour effet de faire se rabattre le revers du haut, libérant ainsi les culottes que l'on avait
entendues se plaindre auparavant.
" Ah, un peu d'air " dit l'une, " Ce n'est
pas trop tôt " dit l'autre…" Ah, ah, les strings sont restés à
l'intérieur ! " ajouta la première…" Il ne faut pas perdre le fil des
évènements ! " ricana l'autre. Un long enfermement les rendait très
prolixes. Puis une main apparut quand une trappe s'ouvrit et les deux petites
culottes disparurent subitement et tous les bagages présents crurent entendre
des bribes de conversation où l'on pouvait distinguer : " Qu'est-ce que
t'as trouvé ? " ou encore " C'est ma femme qui va être contente !
".
Mais le sac à dos avait d'autres chats à fouetter et, malgré
la perte d'une partie de son chargement, il lui fallait prendre son destin en
main….Il n'avait pas été sans remarquer que la pile se creusait à un endroit et
qu'elle se reformait un peu plus loin en un tas un peu plus harmonieux, ou bien
rangé si l'on préférait. De belles valises rutilantes, aux couleurs blanche
immaculée, ou noir anthracite très sobre semblaient attendre un départ
imminent, comme sur un quai de gare. " Qui sont celles-là ? "
demanda-t-il à la petite valise.
" Ah, les Samsonites*, inutile de leur adresser la
parole, elles ne te répondront pas ! Ce sont les privilégiées, les bourges…La
plupart du temps on vient les récupérer. Celles que l'on laisse moisir ici sont
très vexées !
" Eh ben, c'est pas compliqué, il faut aller de leur
côté ! "
" Ah !!! Le sans-culotte est un révolutionnaire !
" Ainsi parlait un espèce de besace qui, au premier abord, ne payait pas
de mine.
" Qu'est-ce qu'il veut celui la ? "
" T'inquiète pas ! Un vulgaire sac d'étudiant..Il y a
bien longtemps qu'on lui a pris son ordinateur portable, mais il lui reste les
dictionnaires et les livres savants. Monsieur fait son érudit !...Au début on a
pu écouter un peu de Bob Marley sur son walkman, mais maintenant les piles sont
foutues…"
" Nous sommes tous foutus ! "
" Encore un étudiant ? "
" Un anarchiste ! Il a été posté à Katmandu ! Il délire
! Personne ne peut le sentir ! " Il empestait pourtant encore le
patchouli mélangé à une odeur de mauvaise sueur et de putréfaction… Le sac à
dos en avait assez vu et assez entendu et il prit les choses en main.
" Bon, je ne supporte pas l'arrogance de ces
samsonites. Nous allons les éliminer, et pour cela les étouffer en les faisant
disparaître. Et pour cela, nous allons changer de pile et nous mettre au dessus
d'elles, les recouvrir, les enfouir, les enterrer comme des cloportes. De sorte
que lorsqu'un employé modèle d'un aéroport modèle, c'est-à-dire quelqu'un de
bien fainéant, incompétent et désabusé sera chargé des les récupérer, il ou
elle renoncera devant le mystère de leur disparition et les assurances se
chargeront du reste ! "… Le sac à dos en savait long sur les affres de la
nature humaine et le fonctionnement des aéroports.
De nombreuses valises, sacs, paquets, bagages frustrés de
toutes sortes, suivirent ses conseils, conseils qui se muèrent vite en ordres,
parfois péremptoires ! Il avait de surcroit réponse à tout. " Tu ne
manques pas d'assurance " lui disait-on.
" Si, justement, et c'est pour ça qu'on ne vient plus
me chercher ! "
Les nouveaux arrivants étaient enrôlés malgré eux, et une
horde de bagages finit par déferler, à force de reptations, glissements,
éboulements, sur les samsonites qui disparurent comme il l'avait prévu….Lui,
trônait toujours au dessus de la pile.
Un bagage en cuir un peu désuet, mais qui connaissait la
vie, eut l'outrecuidance d'émettre des réserves sur sa stratégie ( en avait-il
seulement une ? ) et sur sa philosophie. Par bonheur le sort s'en mêla et on
vint chercher la valise patinée, éliminant ainsi un adversaire potentiel.
D'autres remuèrent certains souvenirs nostalgiques, comme
celles de ces deux culottes, évadées de la contenance du chef, qui devaient
maintenant couler des jours heureux sur les fesses d'une plantureuse brune.
Le chef se fit un devoir de leur gâcher ces évocations, ces
envie de liberté et de changement en leur rappelant les dangers et les sévices
auxquels ces pauvres sous-vêtements ne pouvaient pas manquer d'être confrontées
: urine, miasmes, pertes blanches, pertes brunes, pertes noires, règles
abondantes, flux incontrôlés, poils rebelles, pillosités
excessives,compressions de jeans trop serrés, œillades abusives de machos
invétérés au moment de décroisement de jambes, passages fréquents en machines
du diable, eau de javel, assouplissants divers, pinces à linge sadiques, séchages
atroces sur radiateurs brûlants, et il en passait et des meilleures !...........
Il réussissait à maintenir tout le monde dans un état de
dépendance psychique et morale pour asseoir sa suprémacie. Et il fallait dire
qu'il s'y entendait.
Ndla : prononcer Samsonaïte.
Certaines valises, bien que n'étant pas des samsonites, nous
dirons d'extraction plus modeste, avaient du mal à accepter l'hégémonie d'un
sac à dos. Il y eut une période où elles firent mine de faire bande à part, ou
de ne pas répondre aux injonctions et autres mouvements de masse, destinés à
établir une nouvelle hiérarchie, sous prétexte de se débarasser d'une
précédente, sois disant plus contraignante. Elles ne versaient pas dans cette
démagogie et cette hypocrisie. Par contre, elles versèrent rapidement dans le
fond d'une faille, pour être rapidement recouvertes et muselées, grâce à des
mouvements intempestifs générés par des sac à dos, point trop intelligents mais
costauds et sportifs, à la solde de notre despote, on pouvait bien l'appeler
comme ça maintenant.
Il sut diviser pour régner, il sut ménager les uns et les
unes, mettre plus bas que terre les autres, au sens propre comme au sens
figuré, renverser les alliances en même temps que les piles, organiser quelques
petits spectacles de mise à mort pour calmer la vindicte du vulgus pecum,
censurer les walkmans rebelles et insidieux à l'aide d'une pile qui s'effondre
au bon moment avant que leurs piles ne soient foutues, avoir toujours un
subordonné prêt à remplacer un autre subordonné au sein de la subordination
directe qui le maintenait à la tête de cette hiérarchie savamment organisée.
Certains se disaient, que trônant ainsi en haut de la pile,
une main, charitable pour eux, finirait par le récupérer et le rendre à son
propriétaire, mais les jours passaient et les hommes de main de l'aéroport
l'ignoraient, ignorant également le calvaire de tous les autres.
Il fallut pour le déboulonner attendre l'arrivée d'une
grosse malle. La trappe s'ouvrit et comme la malle était très lourde, elles lui
tomba dessus de tout son poids, le faisant basculer tout au fond de la
poussiéreuse réserve.
" Je vous ai fait mal ? " lui cria-t-elle,
désolée.
" Vous ne croyez pas si bien dire ! " dit un sac à
dos qui voulait devenir calife à la place du calife. Et à son signal des piles
s'effondrèrent sur le calife, scellant ainsi son destin…De nombreux walkmans se
mirent à jouer une musique gaie…
L'histoire ne dit pas si la malle prit sa place grâce à sa
légitimité de libératrice du royaume.
Par contre des milliers de passagers continuent à transiter
dans cet aéroport.
LA LÉGENDE de PETIT DOIGT
Maman Pouce disait toujours :
Mon petit
doigt m'a dit…Il faut dire qu'elle était très fière de lui et qu'elle
parlait tout le temps de lui, si bien qu'on prit l'habitude de l'appeler
"Petit doigt", même quand il fut devenu grand. Sa maman disait encore
des choses comme : "
Mon fils sera un touche-à-tout! ", ou
bien "
Le monde est un grand livre ouvert sur la vie "
Quand sa maman ne fut plus là, Petit doigt, très touché,
décida d'aller à la rencontre de quelques pages de ce grand livre…Son sens
tactile prenait le pas sur tous ses autres sens, pourtant en éveil, et lui
servait de boussole.
Petit doigt parcourut de nombreuses pages…Certaines le
prenaient pour un journaliste qui devait rendre son "papier" tous les
soirs, d'autres pour un typographe tatillon, et quelques unes pour ce qu'il était
vraiment : un aventurier qui voulait effeuiller le monde comme une vulgaire
strip-teaseuse.
La page de garde essaya de tromper sa garde. C'était une
belle page parcheminée et richement décorée à la feuille d'or. Petit doigt
n'avait pas besoin de pierre de touche pour essayer l'or et l'argent, il ne fit
qu'effleurer la belle, qui en fut pour son argent.
Sans tomber de Charybde en Sylla, il rencontra la très drôle
Yoko et ses origamis. Cette dernière, qui essayait de se mettre en quatre pour
lui, fut très vexée de le voir se plier de rire.
Il rencontra aussi un artiste qui couchait les mots sur le
papier. Il voulut lui en toucher deux mots et ce faisant lui demanda pourquoi
il les emprisonnait ainsi…Raymond Devos lui répondit que les paroles s'envolent
et lui proposa de jouer avec les mots. Avec son air de ne pas y toucher, cet
artiste était trop malin pour Petit doigt.
Petit doigt faillit tomber amoureux d'Iris. Il lui avait
tapé dans l'œil. Le regard luminescent de la belle diffractait une lumière qui
faisait ressortir tous les contrastes moirés de la sérigraphie sur laquelle ils
s'étaient perdus tous les deux. Mais l'amour d'Iris était trop exclusif et
étouffant pour quelqu'un comme Petit doigt voulant tourner la page.
Cheminant de par le vaste monde, il s'arrêta par un soir
d'orage et de pluie battante à Colombey-les-Deux-Eglises en France profonde
pour prêter son aide à Yvonne de Gaulle, née Vendroux, manière de laisser son
empreinte. Celle-ci, proche de la fin et atteinte d'une forme dérivée de la
maladie de Parkinson, avait en effet du mal à tourner les pages de son journal
intime. Par contre elle avait encore de bons yeux et toute sa tête. Elle lisait
à haute voix ce qu'elle avait consigné dans ce journal à son général de mari,
proche de la fin lui aussi, tantôt agacé et irrité, tantôt blasé, mais sans se
départir de son mépris légendaire.
Petit Doigt, qui avait appris à lire de puis longtemps, lui
tournait les pages comme on les tourne à un pianiste virtuose célèbre, avec
beaucoup de révérence et en attendant patiemment qu'elle ait fini ses phrases.
-
On peut dire, mon ami, que vous m'en avez fait voir
pendant toutes ces années ! Comment ai-je pu rester avec vous ? Vous petit
tyran familial !
-
Je n'ai jamais été votre ami !
-
Je sais…Vous n'avez même pas été mon amant…Tout juste
le géniteur de mes trois enfants. J'étais ce qu'il est convenu d'appeler une
"oie blanche". Vous m'avez défloré et mise enceinte et c'est pour
cela que nous nous sommes mariés en catastrophe. Philippe est né moins de neuf
mois après.
-
Je vous ai prise à la hussarde, je sais ! Double
tradition aristocratique et militaire ! On ne fait pas Saint-Cyr pour rien ! Que
voulez-vous, on était en avril 21 et je sortais de pas moins de trois exils…
-
Ah,voila vos "exils" qui refont surface
inlassablement. Vous radotez mon cher…Premier exil en 1904 en Belgique,
deuxième exil : fait prisonnier pendant la Grande Guerre, vous vous morfondez à
Ingolstadt en 17 et en 18, troisième exil : en poste en Pologne en 1920 et 21,
où soit dit en passant vous subissez l'influence antisémite, je sais tout cela
par cœur.
-
Je n'aime pas les juifs, pas par antisémitisme, mais
parce qu'ils aiment trop l'argent !
-
Vous n'aimez personne, ni les juifs, ni les noirs, vous
n'aimez que vous ! Bref, tournons la page…
Petit
Doigt essaya de trouver une page un peu plus consensuelle
-
…Qu'est-ce que j'ai écrit là ? Ah oui, l'appel du 18
juin !
-
Eh bien quoi ?! Une de mes plus belles réussites !
-
Parlons-en de cette réussite. Je vous ai suivi, et
après un voyage horrible où j'ai vomi de nombreuses fois, je me suis retrouvée
en compagnie de madame Churchill qui se gavait de gateaux anglais infâmes et de
sucreries en me racontant des inepties et des insanités quand elle avait un
petit coup dans le nez….Et que son mari empestait le cigare et que ça
l'incommodait fort pendant le devoir conjugal et que parfois il fallait qu'elle
aille fumer le cigare au sous-sol elle-même. Je n'ai jamais très bien compris
ce qu'elle voulait dire.
-
Vous n'êtes jamais descendue au sous-sol, ma chère, au
sens propre comme au sens figuré. Votre éducation catholique petite bourgeoise
n'a pas été assez rigide !.......En attendant cet appel est le premier discours
lyrique qui a fait de moi ce que l'on sait…!
-
Ce que l'on ne sait pas, c'est que ce n'est pas vous
qui l'avez écrit ! Il était déjà prêt et Georges Mandel et même Léon Blum
avaient recommandé de vous le confier. Si Winston, qui vous appelait "Jeanne
d'Arc", l'avait su, nul doute qu'il en aurait fait des gorges chaudes !
-
Justement, j'incarnais l'indépendance et la liberté de
la France ! Incompréhensible pour ce rosbif de Churchill ! Je hais les Anglais
et leur reine de pacotille ! C'est à vous dégoûter d'être monarchiste comme je
l'étais étant jeune.
-
La liberté, la liberté ! Tout était libre chez vous !
Les Forces françaises libres…La France libre…Le Québec libre…Il n'y avait que
l'Algérie qui était "française" avant de devenir libre pour de bon…Et
pendant ce temps, nous, la femme soumise et ses trois enfants nous étions
libres de nous taire.
¨Petit
Doigt, qui n'aimait pas les situations conflictuelles, essaya une autre page.
-
A l'Elysée, vous aviez tout ce qu'il fallait, vous y
étiez heureuse…
-
J'étais une potiche qui s'y ennuyait ferme. Les rares
fois où j'en sortais en votre compagnie étant pour aller à la messe. Vous
conviendrez que cela n'avait rien de folichon…J'ai même failli y trouver la
mort dans l'attentat du Petit Clamart.
-
Cela aurait fait une belle fin !
-
Plus conforme à votre mégalomanie et à votre ego
surdimensionné, que de mourir de vieillesse en charentaises en se faisant
dessus après une opération de la prostate ratée ...!
-
Ne soyez pas cynique ma mie, cela ne vous va pas !
-
Votre mie maintenant ! Votre mie de pain que vous avez
disséminée au quatre vents de votre égoïsme et de votre incompréhension aristocratique.
-
J'avais une certaine idée de la France, mais aucune
idée de ce que pouvait être un couple.
-
Je vous avais demandé la grâce de Bastien-Thiry. Ayant
vu la balle passer à quelques centimètres, c'était bien le moins que vous
puissiez m'accorder, mais votre orgueil en a décidé autrement, d'autant que les
autres ont été graciés eux ! Il fallait faire un exemple sans doute ?!
Petit
Doigt devenait fébrile, alors que son rôle
était
de tourner les pages avec sérénité.
-
J'ai là un florilège de vos citations et de vos bons
mots, si tant est que l'on puisse les appeler ainsi. Alors je lis : "Le
plus difficile, ce n'est pas de sortir de Polytechnique, c'est de sortir de
l'ordinaire."
-
Ma préférée est : "Les français sont des veaux
!" De plus, c'est vrai !
-
Ne vous en tirez pas par une pirouette…Cette école
était-elle trop difficile pour vous, petit saint-cyrien même pas sorti major de
sa promo ?..Et là : "Si les policiers n'étaient pas bêtes, ils ne
seraient pas des policiers!" En vous côtoyant, j'en suis arrivée à
penser la même chose des militaires.
-
Vous voulez penser, vous, qui n'avez même pas eu le
baccalauréat !
Petit
Doigt devenait moite et avait des fourmillements au bout de son empreinte. Il
fit une ultime tentative
-
Vous exagérez Yvonne, mon bilan est plus que positif.
Les journalistes et les historiens ont appelé mon règne : "Les trente
glorieuses". Ce n'est tout de même pas pour rien !
-
Vous avez presque tout raté en croyant avoir tout
réussi ! Et ceci à cause de votre intransigeance maladive, votre anticommunisme
primaire, votre aveuglement indépendantiste. Vous avez raté Yalta, votre retour
en 45, la décolonisation et sa gestion calamiteuse, la force de frappe qui
accouché d'une souris : la bombinette qui coûte cher aux contribuables, la
modernisation du pays pourtant nécessaire et même votre constitution
monarchique parlementaire qui a fini par se retourner contre vous ! Et ce n'est
pas tout vos beaux discours qui vont y changer quelque chose. Henri Tissot s'en
est suffisamment moqué !
-
Henri Tissot ne s'est pas moqué, il m'a imité ! Oh et
puis vous devenez grotesque Yvonne. Vous pêchez ces polémiques auxquelles vous
ne comprenez rien dans les discours de vos cousins, piètres politicards.
-
Vous ne vous êtes même pas enrichi, alors que tous les
crabes qui se sont remués dans le panier gaulliste se sont enrichis, eux, de
manière insolente !
-
On appelle cela de la probité !
-
..Savez-vous, mon cher si l'on peut dire, que vos héritiers devront même vendre notre
propriété de la Boisserie, à Colombey. Certains parlent de la racheter par une
souscription, et d'en faire le musée Charles de Gaulle. Les tractations ont
déjà commencé…Je le sais par Philippe.
Vu
la tournure des évènements, Petit Doigt était prêt à lâcher la main d'Yvonne,
mais celle-ci lui extorqua un dernier détournement.
-
Malgré le secret professionnel, j'ai eu connaissance des
termes de votre testament, parce que, figurez-vous, moi aussi j'en ai fait un :
« Je veux être enterré à Colombey. À mes obsèques, ni présidents, ni
ministres ! Sur ma tombe : Charles de Gaulle, 1890-19...
Rien d'autre » Après avoir été autoritaire, tatillon, cassant, intransigeant,
méprisant, démagogue, tyrannique, mégalomane, vous essayez de brouiller les
pistes du souvenir et du jugement de l'histoire par une mort humble. On ne me
la fait pas à moi !
-
Vous Yvonne, l'histoire ne retiendra de vous que la
médiocrité et l'effacement. Aucun aéroport, aucun porte-avions, aucune bouche
de métro ne portera votre nom, pas même une rame d'ailleurs ! ! Tandis que moi…
! Nul doute que le porte-avion Charles de Gaulle sera un navire prestigieux,
bourré de technologie à la pointe du progrès et d'autres merveilles telle que
l'amiantage. Ce ne sera pas un de ces trop nombreux bateaux poubelles qui
infestent nos mers et nos océans !
Petit
Doigt en avait assez entendu et il n'avait aucune envie d'être réincarné en
femme de général-président-monarque absolu. Il s'extirpa de la main d'Yvonne
pour aller poser son empreinte ailleurs.
Une aquarelliste, qui décorait sa page et travaillait par
petites touches, le laissa passer sans encombre, il eut froid sur du papier
glacé, chaud sur du papier goudronné, resta collé sur du papier gommé, respira
sur du papier libre, devint fou sur du papier timbré et comprit enfin sur du
papier cristal qu'il touchait au but…
Il voulait faire quelque chose de sa vie et se rendre
utile…Un imprimeur dont le toucheur était défectueux, l'engagea et Petit doigt
se mit à la page du monde du travail, apportant ainsi sa touche personnelle à
l'écriture du livre de la vie. C'est là que les choses se compliquèrent un peu.
Se rendre utile n'est pas toujours aussi simple…
ELLE MeT duCOMPOST, ELLE !
-
Christian,
Marc, on s'arrête un peu ?
-
Qu'est-ce que tu en penses ? Marc, je te trouve bien songeur…
-
Il va encore nous écrire quelque chose…
-
J'ai envie de pisser…
-
C'est une tout autre affaire.
-
Christian…Voila quelqu'un avec une drôle de dégaine.
-
Il fait peut-être du théâtre comme toi, Marc. Regarde
comme il est attifé !
-
Holà marauds, passez votre chemin, à moins que vous
n'ayez gourdasse bien remplie de bonne eau de source. J'ai grand soif.
-
Donne lui tout de même à boire, Denise.
-
Grand merci mon bougre…La désaltérance m'est douce…Je
vous ai mal adjugé au prime abord. Point n'avez l'air de coquillards animés par
le lucre et le brigandage et non par la foi… C'est que votre mise de manant est
fort curieuse. Ne seriez-vous pas de ces foldingos qui errent par les chemins ?
-
Marc, viens voir quand tu as fini de pisser. C'est de
ton ressort.
-
J'arrive…monsieur, à qui avons-nous l'honneur ?
-
Seigneur Adalard, Vicomte des Flandres, cheminant en
cet an de grâce sur la via Podiensis vers la boralde d'Aubrac.
-
Ces jeux de rôles sont impressionnants, on s'y
croirait,… pas vrai Christian ?
-
Jeu de drôles !? Mais toi donc, drôlesse, que fais-tu
en ces lieux ? On compte peu de femmes parmi les pèlerins dignes de ce nom.
Prends garde à mon courroux…
-
Christian, défends-moi…
-
Cette femelle prétentieuse t'appartient-elle, toi le
mécréant?
-
Marc, à moins que je ne lui foute ma main sur la
gueule, qu'est-ce que je réponds à ce stade ?
-
Si fait !
-
Si fait, Monsieur !
-
D'ailleurs je n'aperçois point à vos pourpoints
miséreux de coquille Saint-Jacques…Point n'êtes d'humbles pèlerins, vous êtes
des gueux !
-
Tu vois Christian, je vous l'ai dit déjà…Vous crachez,
vous éructez, vous pissez au milieu du chemin…Vous êtes dégueus !
-
Si vous avez une coquille, arborez-là…Nous les
chevaliers arboront nos armes et celles de nos suzerains. Notre
"carte" est donc illustrée par la Croix épée de Saint-Jacques, les
armes de France parées de la Croix de l'Ordre de Malte, ainsi que les armes du
Duché de Bourgogne ornées de la Toison d'or.
-
Christian tu avais une coquille avant…Mais si, quand tu
jouais au hand.
-
Denise, la situation est suffisamment compliquée comme
ça…
-
J'interviens…
-
C'est ça Marc !
-
Et que venez-vous faire en ces contrées, seigneur
Aladin…
-
Adalard ! Ayant passé le sanctuaire jacquet de
Saint-Chely d'Aubrac, je me rends vers l'hôspital d'Aubrac. Et je vous adjoins
une dernière fois d'arborer vos coquilles, si toutefois vous en possédez
une…J'aperçois de drôles de blasons sur vos gayes. A quelles familles
appartiennent ces écus ?
-
Moi, la famille Oxbow
-
Moi, la famille Nike
-
Moi,
euh… my name is Dorothenis…
-
Ce n'est pas ce qu'on te demande, Denise !
-
Oui, j'ai compris, il veut la coquille…La coquille, la
coquille, mais nous on n'en a pas de coquille…Pas vrai Marc ?
-
Assurément !
-
Il m'énerve avec ses coquilles !
-
Parle sur un autre ton, mauvaise engeance, garce,
ribaude !
-
Je parle comme je veux ! De toute façon qu'est-ce que
vous y connaissez à cette coquille ! Apprenez, monsieur que la Saint Jacques
appartient à la famille des pectinidés, famille très nombreuse, 400 espèces
environ, dont deux espèces vivent dans nos mers, la pecten maximus, la vraie,
la meilleure, qui vit en Normandie, dans la baie de Saint Brieuc et en
Atlantique et la pecten jacobus qui est une espèce médidérranéenne. C'est un
mollusque bivalve qui absorbe sa nourriture, du phytoplancton, par filtration.
Sa valve supérieure est plate, à grosses côtes concaves, et l'inférieure est
creuse, c'est cette partie qu'elle enfonce dans le sable. De couleur brun-rouge
à rose, la coquille Saint Jacques est sédentaire et son habitat préféré est les
fonds marins formés de sables, de débris coquillaires et de maërl dans lesquels
elle s'enfouit à moitié… Hermaphrodite, elle contient une glande génitale
appelé le corail qui est rouge chez les femelles et blanc chez les mâles qui se
forme quelques mois avant la période de reproduction. Lorsque l'eau est a plus
de 16°, en été, c'est la ponte, les coquilles lachent leurs semences qui
s'unissent au gré des mouvements de l'eau, de cette rencontre naît une petite
larve qui vit pendant 3 à 4 semaines une vie larvaire pélagique, puis qui se
fixe sur un socle de son choix et continue sa croissance. A 4 mois, son
byssus disparait, elle est donc libre de ses mouvements, mais, peu aventureuse,
la coquille Saint Jacques, une fois posée sur le fond ne se déplace quasiment
plus. A deux ans, elle atteint sa maturité sexuelle et le cycle recommence. Sa
pêche est autorisée d'octobre à avril. Elles doivent au minimum mesurer 13 cm.
Les cours des coquilles Saint Jacques fluctuent selon les arrivages qui
dépendent des conditions météorologiques car la pêche est difficile ou
dangereuse par gros temps. La coquille Saint Jacques est toujours vendue
fraîche, car elle ne peut être élevée en parc, ni stockée. Achetez-la le jour
où voulez la consommer, si ce n'est pas possible sachez qu'elle se garde
entière à 6-8° dans le bac à légumes de votre réfrigérateur…
-
Respire, Denise, respire !
-
Non mais il m'énerve !
-
Ta femelle a belle jactance ! Mais elle se découvre
manières de noble dame et point manières de sotte gueuse…Partons d'ici avant
l'orage qui gronde, mais dis à ta douce de ne point trop nous abreuver de
savantes démonstrations. J'aime les luronnes taiseuses et point flagornantes…
-
Tu vois Denise, tu parles trop, je te l'ai dit déjà…
-
Tu parles !...Oh de la fétuque du mouton…Marc, viens
voir…Il y en a plein ici !
-
Ah, c'est ça…! C'est de la vulgaire herbe.
-
Il ferait bon voir que les paysans et autres gens de
basse extraction ne viennent faire paître leurs troupeaux sur la via Podiensis,
chemin sacré des pélerins de Compostelle. Il leur en cuirait et seraient tout
dret destinés au gibet…C'est ainsi que cette herbe peut pousser à profusion…
-
M'en fous !
-
Quel est ce nain, ce nabot grotesque par le travers du
chemin ?...Je vais proprement l'embrocher de ma fidèle épée.
-
Demandons-lui plutôt ce qu'il fait à rôder par ici,
noble seigneur. Baste, laissez-lui conter sa geste…
-
Tu as raison, chevalier Oxbow, soyons tout ouïe…
-
Il assure Marc quand même, Christian !
-
On a bien fait de l'emmener !
-
Hola, villain contrefait, que fais-tu en ces lieux
sacrés ?
-
Je me présente : Henri Marie Raymond de
Toulouse-Lautrec Monfa, fils d'Alphonse Comte de Toulouse-Lautrec-Monfa et
d'Adèle Tapié de Celeyran.
-
Contrefait, mais noble ! Soit ! Les Comtes de Toulouse
sont parmi les plus puissants féodaux du royaume. Veuillez cheminer avec nous
et sous notre protection…Je vous présente à mon tour le chevalier Oxbow et le
chevalier Nike.
-
Ainsi que Dame Denise Dorothenis…
-
Denise, la situation est assez compliquée…
-
Je sais, je sais…!
-
On m'a dit que je trouverais " La goulue "
sur ce chemin. Alors je cherche, en vain, depuis ce matin.
-
Vous trouverez ribaudes et garces à proximité de
l'hostellerie à Aubrac. Contre quelques écus sonnantset trébuchants,
pourrez-vous ainsi vous offrir le déduit. Elles ne seront point regardantes sur
votre apparence…
-
Mais non, il s'agit probablement…Comment on dit
:"Mais non" Marc ?
-
Que nenni !
-
Merci ! Que nenni, messire ! Il s'agit probablement de
la "Drosera" ou "Humide de rosée", surnommée "La
goulue" car c'est une plante insectivore qui, à l'aide de ses feuilles
rondes recouvertes de poils gluants, capture mouches, moustiques et même petites
libellules… Dès que j'en aperçois une, je vous la montre. En tout cas voici la
"Grande gentiane" assez commune par ici, et ici
l'"Asphodèle", …tu peux regarder toi aussi Marc, après tu vas me
redemander. Ici, nous avons la "Pensée sauvage", ici la "Circe
des ruisseaux", ici, beaucoup moins commun l'"Ail des ours"
"Alium Ursinus", mais il y a belle lurette qu'il n'y a plus d'ours…
-
Fort heureusement, Dame Denise Dorothée, nous les avons
chassés et exterminés. C'était trop dangereux pour nos pélerins, malgré leur
bravoure et leur dévotion. On peut en observer sur la via Tolosana, au col de
Roncevaux. Il faut alors y être très prudent.
-
Ouais, c'est ça ! Oh tenez Comte, en parlant de
mouches, regardez toutes celles-ci qui s'agglutinent sur ce champignon, c'est
le "Satyre puant". On ne peut le voir qu'en faisant fuir les dyptères…
-
C'est très interessant, je vais en peindre…Il a une
forme de…braquemart !
-
Oui, c'est assez phallique !
-
C'est fort plaisant d'avoir femelle savante, chevalier
Nike, mais qu'en est-il de ses talents culinaires ?
-
Elle réussit fort bien toutes sortes de plats, en
particulier l'aligot dont raffolent gens de ce pays…Ça va comme ça Marc ?
-
C'est parfait ! Je n'aurais pas fait mieux !
-
Fort bien, fort bien, vous devez vous en trouver fort
aise…Et pour le déduit ?
-
Qu'est-ce qu'il en déduit ?
-
Rien, rien, Denise, je t'expliquerai !
-
Dis-lui, Marc, que s'il veut planter ces fleurs et
plantes sauvages dans son jardin, il faut qu'il mette du compost…
-
Que dit Dame Denise Dorothée qui n'ose s'adresser à moi
?
-
Elle met du compost, elle !
-
Je n'entends rien à ce discours !
-
En plus, il est sourd ce con !...Tenez Comte, vous
allez trouver cela cocasse, ici nous avons le "Bon-Henri", plante
comestible, dont on peut faire des décoctions et des tisanes aux vertus
curatives. La légende veut que le bon roi Henri IV en soit très friand, d'où
son surnom. Son vrai nom est le "Chenopodium".
-
Le bon roi Henri IV ?
-
Eh bien oui, Henri de Navarre…
-
Mais le Roi de Navarre ne s'appelle pas Henri… C'est
Gaston Phébus !...Oh, vous êtes bande de fols qui me tournez les esprits, et je
n'entends rien à toutes vos fadaises et simagrées. Vivement que nous atteignons
la boralde ! Je ne veux plus vous revoir sur ma route !
-
En tout cas, moi, je ne regrette pas d'être venu. Je me
demandais un peu ce que je faisais là, mais je m'aperçois que j'y ai plein de
choses à peindre, comme ce "satyre puant" qui aura beaucoup de succès
à Montmartre… Je vois bien mon ami Magritte intituler son tableau : "Ceci
n'est pas un champignon". La butte me manque, même si l'air de la campagne
m'est recommandé. Dame Denise, si vous connaissez des champignons
hallucinogènes, indiquez-moi les, mes amis vous en seront reconnaissants.
-
Vos amis…vous fréquentez les gargottes de la capitale,
Comte. Peut-être vous arrive-t-il de vous acoquiner avec le poète François
Villon et sa bande de tires-laine et autres criminels et coquillards parlant le
jargon jobelin. Méfiez-vous de ne point y laisser la bourse et la vie, même si
débauche est parfois douce avec les ribaudes, surtout pour vous qui voulez
oublier votre condition de nabot.
-
Vous ne croyez pas si bien dire, seigneur Adelin
-
Adalard ! Je suis las que vous tous estropiez mon nom !
C'est là grand manque de respect et je ne sais ce qui me retient de…mais nous
voici à Aubrac, lieu d'horreur et de profonde solitude, je serai magnanime.
Vous allez vous fondre parmi les pèlerins et leur humilité.
-
Là, un "Lys Martagon"
C'est une plante très rare et une espèce protégée. Il ne faut pas le cueillir,
il est beau n'est-ce pas Marc ?
-
Oncques ne vit plante plus majestueuse ! Nul doute que
nos souverains l'ont choisi pour mettre à leur blason, car il est symbole de
beauté et de noblesse. Je m'en vais le cueillir pour le mettre à mon revers de
pourpoint en allégeance à mon roi.
-
Qu'est-ce c'est que ces conneries ? Il est protégé, je
vous dis !
-
Fadaises et billevesées de femelles sensibles. Les
seuls à protéger sont dieu et son roi ! Installez-vous dans l'hostellerie, vous
dis-je et faites vous y discrets ! Vous y trouverez gîte, couvert et paillasse.
Suivez y bien les préceptes et règles de la confrérie de Saint Augustin.
Prière, dévotion, silence, humilité, jeûne, et abstinence de chair. Perdus par
le péché, vous serez sauvés par la grâce ! Allez, et n'y revenez plus !
-
Oh mais ça suffit le petit seigneur Adobe photoshop !
On ne peut rien faire alors ! Vous êtes un vrai tyran ! Il faut arborer la
coquille, il faut prier le dieu, il ne faut pas faire ci, pas faire ça, pas se
promener avec ses moutons ni avec ses ours, ne pas trop parler, ne pas être
trop savant, ne pas se trimballer sur le G.R. quand on est une gonzesse, se
permettre de cueillir les espèces protégées, bonjour l'obscurantisme, la misogynie
et l'écologie !!!
-
Respire Denise, respire !
-
Christian, Marc, j'en ai marre des jeux de rôles !... A
moi Comte, deux mots : Laissons tomber ce blaireau et allons au resto. Ils y
font un petit aligot qui est meilleur que le mien.
-
Revenez batards, ma vengeance sera terrible !
-
Je vous remercie, Dame Denise, je m'en retourne à la
capitale, mais si d'aventure vous passez par Montmartre, je vous y peindrai
avec plaisir…
-
Vous ne restez pas avec l'autre abruti ?
-
Ne vous inquietez pas. Comme j'aime à dire : "Je
boirai du lait quand les vaches brouteront du raisin." …Adieu.
-
Tu as entendu Christian, je vais poser pour lui…
-
Oui Denise, en attendant on va se poser où tu as dit,
n'est-ce pas Marc ?
-
Avec plaisir !
LE TYRAN, LE LUTHIER et LE
TEMPS
Un troubadour
étrange arriva un jour sur la place d'un village…Tu m'écoutes Morgane ? Sinon
je ne raconte pas ! Prend ton petit pouce !
C'était donc un troubadour qui ne payait pas de mine,
habillé de haillons aux couleurs grisâtres. Mais il avait l'attirail habituel
des troubadours, rien à vendre, rien à déballer sur une charrette pour le proposer
à l'achat, aucune natte à mettre à même le sol pour y déballer la marchandise;
non, il avait un instrument, une viole qu'il prépara avec soin pendant que les
badauds commençaient à se regrouper devant lui.
Il affûta les cordes de l'archet de sa viole comme on affût
une scie, ce qui ne laissait pas de titiller la curiosité des badauds qui se
retrouvèrent de plus en plus nombreux. Il exerçait sur eux ce mélange de
fascination et de répulsion que tous les baladins exercent sur le petit peuple,
méfiant envers tous ceux qui n'appartiennent pas à leur communauté, mais
friands de boniments et prêts à se faire duper au moindre tour de magie…Il
invectiva quelques uns de ses spectateurs, comme fait tout bon bonimenteur
-
Holà mes amis, approchez…Toi là, quel est ton nom ?
-
Gérard ! Que fais-tu là étranger à affûter ta canne et
ses drôles de filins ?
-
C'est l'archet de ma viole et tu vas voir apparaître un
décor, des couleurs, des sons, des odeurs et du vent, quand je commencerai à
frotter mon instrument avec les cordes ainsi affûtées.
-
Ne vous laissez pas embobiner mon cher mari, le travail
nous attend à l'échoppe.
-
Ah, ah, ta bourgeoise a peur de te voir perdre ton
temps et ta bourse à assister à mon spectacle. N'aie crainte…Je ne suis pas en
cheville avec un détrousseur qui coupe les bourses et dérobe les bijoux pendant
que les bons citadins badent devant le spectacle. Quelle échoppe tenez-vous
donc pour être ainsi pressée d'y ramener votre homme?
-
Cela suffit femme ! Je fais comme il me sied ! Allez
rebouter vos patients et laissez-moi en paix. Mes onguents et toute ma
pharmacopée attendront. Je suis curieux d'entendre ce drôle si bien empenaillé
et qui ne m'a point l'air trop finaud ou fiérot…Allez dame Nicole, ne me faites
point honte devant toute l'audience ici réunie.
Dame Nicole, femme de Maîstre Gérard, rebouteuse de son
état, s'en fut non sans avoir encore manifesté sa méfiance et sa mauvaise
humeur, mais battit en retraite devant le tour que prenaient les choses et
l'hilarité générale.
-
J'en conclus que ta femme reboute et soigne les
douleurs et que toi tu dispenses tes drogues et tes herbes au bon peuple. Et
bien moi, vois-tu, ma fonction, mon rôle ici-bas est de rebouter les âmes, ou
d'adoucir leur misère et leurs soucis par mes ballades.
-
Trêve de balivernes, conte nous plutôt ce que tu as
dans ton chapeau avec ton archet magique et voyons si le spectacle promet,
sinon nous te chasserons avec tous les honneurs qui sont dus aux flagorneurs et
aux tricheurs.
Et le troubadour se mit en mesure de s'exécuter. Sa voix limpide
s'éleva sur la place, accompagnée de la plainte de son instrument
"Bonne gens, oyez le récit
D'un tyran qui voulait connaître
Les pensées de tous ses sujets
Afin d'en rester le maître !"
Il capta d'emblée l'écoute et l'attention de tous ceux qui
étaient là à l'écouter et à gober ses paroles…
L'histoire commençait avec l'évocation d'un luthier habile
qui vivait dans un pays lointain au milieu de forêts, de collines et d'étangs,
rien de très surnaturel, propre à faire pâlir d'effroi les quelques donzelles
frileusement tassées les unes contre les autres.
Le luthier fabriquait des instruments qui ne se contentaient
pas de jouer de la musique. Celui qui les manipulait devenait détenteur d'un
pouvoir diabolique. Dans ses mains, sous ses doigts, mots et sons prenaient
corps. Ainsi procédait l'instrumentiste pour façonner des mondes nouveaux….A ce
stade, le troubadour s'arrêta, en bon bonimenteur, pour ménager ses effets et
faire croître la curiosité et l'envie d'en savoir d'avantage, tout en réclamant
à boire à son auditoire.
-
Simon ? Simon ? Où est-il ce feignant de drôle ? Encore
à lutiner quelque pucelle ?...Toi, Pauline, va chercher belle cruche de bon vin
bien frais pour notre troubadour.
-
Vous m'avez appelé mon père ?
-
Viens voir les comédiens, voir les magiciens, voir les
musiciens qui arrivent, viens !
-
J'arrive ! Eh bien, de tous ceux que vous m'avez
nommés, je n'en vois qu'un, père !
-
Tais-toi drôle, ils sont tous ceux-la en un seul ! Pose
ta besace et écoute !
-
Grand merci, Maîstre Gérard, on voit chez vous l'homme
qui sait se faire obéir !
Et le troubadour continua son récit… Au cœur de ce pays,
dominant la cité, était un grand château. Dans ce château plein d'oubliettes,
de ponts-levis toujours levés et de cruelles meurtrières vivait le suzerain
Nicolas 1er, roi de Karchérie, cruel tyran parmi ses gens. Il était
autoritaire, odieux, moqueur, envieux, pervers, sadique, et maladivement
curieux. Il en avait développé une folie qui le faisait demander sans arrêt à
son majordome : Que font, que disent, que pensent les gens ? Chacun m'évite,
chacun me ment ! A quoi me sert d'être un tyran si je ne suis pas au courant ?
Son esprit retors et malade lui fit
édicter un jour un édit qu'un héraut clama tout haut dans les rues de sa
capitale : A vous mes sujets, simples gens, savants, artisans, je lance un
défi. Que le plus habile imagine un philtre, un procédé, une machine qui me
permette à moi d'épier tous mes gens, d'être partout chez tous en même temps !
Ceux qui échoueront périront, mais celui qui réussira épousera ma fille !
Personne n'avait jamais vu la fille du tyran, mais la rumeur
courait qu'elle était fort belle et fort douce. Seul le luthier, grâce aux
pouvoirs magiques de son instrument avait esquissé la pâleur, les courbures, le
profil, avait exhalé les parfums de la douce princesse. A l'annonce de ce défi,
le luthier s'enferma chez lui pour travailler à une obscure tâche et plus
personne ne le revit pendant une longue période.
Mais le lendemain se présenta devant les portes du palais le
Maîstre graveur du pays. Que me proposes- tu toi l'aquafortiste pour
résoudre mon problème ? Celui-ci lui répondit : Votre seigneurie a son
visage déjà partout reproduit, sur les médailles, écussons, bustes, statues,
monuments et pièces de monnaie, à l'exception
des assignats et lettres de créance, et vous surveillez par ce biais
gestes et faits de vos sujets…Le roi lui objecta : Certes, mais ce ne
sont là que vulgaires images qui ne me permettent pas de vivre mille fois !
Aussi est-ce un autre procédé que je viens vous proposer…continua
le graveur…A force de mélanger mes mixtures, j'ai découvert un acide qui,
aussitôt votre corps dissous par celui-ci, se liquéfiera en un fluide qui
portera de vous la moindre molécule et se divisera en des millions de
particules
Moi divisé…? Fit le roi intrigué.
Divisé pour régner, Sire ! Chaque éclat de vous-même dans
chaque être s'infiltrera.
Voyons un peu cela !...Et le roi plongea un index
méfiant qui fut promptement dévoré par l'acide. Hurlant de douleur il ordonna
de jeter le maîstre graveur dans une oubliette et de le torturer à petit feu.
Le stratagème inventé par l'aquafortiste pour se débarrasser du tyran ne
réussit pas. De cette mésaventure le tyran garda un doigt mutilé, une rancune
tenace contre les graveurs de toute espèce, mais aussi l'idée de mettre son
effigie sur les assignats.
Il inventa ainsi le
"papier-monnaie" plus tard appelé "argent", puisqu'on
utilisait une formule argentique pour tamponner les assignats encore appelés
"billets". Cela avait l'immense avantage de revenir moins cher que de
battre monnaie d'or et d'argent fondus, et d'instaurer un autre monopole du
pouvoir…
Finalement le tyran ne regrettait rien. Pendant ce temps,
Dominique son grand chambellan, qui espérait secrètement sa perte, rongeait son
frein… Mais le tyran n'avait pas abandonné son défi extravagant et maléfique.
A ce moment là les cloches se mirent à sonner mâtines car on
était un dimanche, et il était mal vu de ne pas assister aux offices. A regret
les badauds, captivés par le récit commencèrent à quitter la place pour se
diriger vers l'église située tout en face.
- Tu continueras ton récit après les offices
troubadour, car il semble que ton conte plaise à la troupe des citadins ici
réunis.
- Méfiez-vous mon mari ! Je sais que vous êtes
vous-même fort friand de jongleries, ballades et autres montreries, mais
notre roi Jacques ne tolère point les baladins trop subversifs…Avez-vous
souvenance de celui-ci qui vint nous montrer son "Tableau des
merveilles" qui avait semé la zizanie dans notre cité par ses évocations
troublantes de taureau en furie. Un des missi dominici du roi avait été
renversé par la foule paniquée. Fort heureusement l'évocation du juif crochu et
satanique lui avait for plu et avait apaisé sa colère.
- J'entends bien tout cela, madame ma femme,
mais il me tarde cependant d'entendre la fin de l'histoire. Ce drôle sera puni,
comme je le lui ai promis, si cette histoire nous réserve mauvaises surprises et
évocations trop fantasques…Vous n'avez point oublié de faire payer vos patients
pour vos soins ? …Tiens baladin un écu pour te restaurer et reviens nous
fringant et point trop éméché après le repas dominical et en respectant
également la trêve des vêpres.
…………Ainsi fut fait comme proposait Maîstre Gérard et le spectacle
reprit dans l'après-midi. Avant de reprendre, le troubadour fut même invité à
partager une pinte avec les bourgeois et gens de bien. Chacun y alla de ses
commentaires sur sa vie errante mais libre. Passablement éméché, lui, Maîstre
Gérard chanta cantiques et chansons à boire de sa belle voix de ténor et
s'épancha sur l'épaule du troubadour, lui signifiant que la bohème ça voulait
dire : on est heureux et autres billevesées d'homme pris par le vin. Le
troubadour écouta ses délires sans trop oser le contredire. Et puis il lui
fallut se remettre à l'ouvrage et il réinstalla tout son attirail au milieu de
la place. Cette fois-ci tout le gratin était là : Maîstre Christian et Dame
Denise, aubergistes fortunés, Maîstre Rolland, maréchal-ferrant, et dame
Béatrice, Maîstre Pascal, scribe, et Dame Catherine et bien d'autres, tous
prêts à s'encanailler et se ravir de sornettes et autres esbroufes en éructant,
pétant et flatulant à qui mieux mieux.
Dans le conte continuèrent à défiler plusieurs personnages
bien campés. Tous voulaient bien sûr la disparition du tyran, croyant peu à
cette proposition de mariage avec une fille que l'on n'avait jamais vu et qui
n'existait probablement pas…Vint d'abord un individu noir au grand et long
chapeau que tout le monde connaissait comme astrologue. Il avait fabriqué un
four "atomique", selon ses dires, capable de muer le roi en soleil
dont il darderait ses jets, atomes et particules sur le moindre de ses sujets,
avant de devenir lui-même une étoile… Le roi l'y fit entrer le premier et le
corps de l'astrologue se décomposa en énergie domestique.
Puis vint l'Agronome principal qui voulait transformer le
suzerain en poussière par le moyen d'un énorme hachoir. Le souverain le fit
broyer menu et donna les restes à ses chiens.
Le Grand Alchimiste avait distillé un poison susceptible de
faire évaporer celui qui l'absorbait. En se dissolvant, le corps du Grand Alchimiste
fit éternuer les ministres et claquer au vent les bannières. Le vœu extravagant
du tyran n'était pas prêt d'être exaucé.
Sur la place, au milieu des badauds il y eut tout à coup un
remue-ménage qui fit cesser les évocations du troubadour. C'était la fille de
Maîstre Gérard qui accourait en criant.
-
Mon père, ma mère, vite…Elle va mourir la mama !
-
Que nous chantes-tu là ?
-
Son fils vous supplie d'apporter onguents, herbes et
drogues afin d'adoucir ses derniers moments !
-
Vas-y, toi femme, et n'oublie pas de te faire payer…Et
par la même, préviens le curé pour l'extrême onction… Excusez-nous gentil
troubadour, mais il y a tant d'amour et
de souvenirs à travers elle, que jamais, jamais, jamaiiiis, on ne l'oublieraaaaa
!!!
Le troubadour pensa que Maîstre
Gérard n'avait pas besoin de crier, ni de répéter, mais de toute évidence il
avait le vin non pas mauvais, mais prolixe…Il continua ses évocations, bien
décidé à en terminer cette fois…
Un jour, au soleil couchant se
présenta devant le roi un humble musicien, le capuchon rabattu sur son visage.
Ce n'était qu'un violoneux et non un génial artisan. Le roi lui demanda : Que
m'apportes-tu là ? Je te préviens, j'ai horreur de perdre mon temps ! Et le
musicien lui répondit : Un instrument de ma confection, un métronome qui
distille le cours du temps et celui qui risque le geste de le toucher d'un
doigt, stoppe le cours du temps, mais il en reste le maître. Essaye ! Le
roi hésita un peu, puis toucha l'instrument du bout d'un doigt. Il en ressentit
un léger vertige. Il ne s'est rien passé luthier, tu mens, tu essayes de
m'embobiner !
Tout un jour a coulé, majesté…rétorqua
le musicien…Vois mon visage où la barbe a poussé. Pendant cette journée je
me suis promené dans ton château et j'ai découvert le coffret bleu où tu caches
tes trésors et tes bijoux, tu peux vérifier ! Le tyran touchait enfin à son
but. Il s'enferma avec le luthier, effleura le métronome et le temps s'arrêta,
tout se figea, sauf lui !
Il sortit du palais, partout
régnait le silence ! Il visita son royaume où tout était figé comme la
pierre…Il usa et abusa de ce métronome, arrêtant souvent le temps à sa guise,
ayant ainsi l'illusion de pouvoir surveiller ses sujets, jour après jour,
seconde après seconde. Il s'accorda d'interminables temps d'arrêt…Mais pendant
que le tyran gaspillait de précieux mois de sa vie, ses sujets longtemps figés
ne vieillissaient que de quelques jours. Ainsi, comme l'avait prévu le luthier,
le tyran vieillit à vue d'œil, à la grande surprise de ses sujets. Un matin du
mois suivant, au terme d'une décrépitude pitoyable, il mourut soudain,
solitaire et prisonnier du stratagème manigancé par le luthier. Ce dernier
enleva alors son capuchon, et tout le monde put reconnaître le luthier qui
s'était enfermé dans son atelier et avait fabriqué son métronome. Par sagesse,
il détruisit celui-ci avec fracas pour que personne ne soit tenté de l'utiliser
de nouveau et il retourna à sa vie taciturne et s'enferma de nouveau dans son
atelier.
Certains sujets particulièrement
stupides et naïfs se demandèrent s'il avait épousé la fille du roi…Le Grand
Chambellan s'autoproclama roi, édicta quelques lois un peu plus libérales et la
vie continua dans un pays délivré du joug d'un tyran fou.
Le conte et les évocations étaient
finis. L'étrange troubadour et son instrument se turent. Les évocations
s'évanouirent. Forêts, étangs, cités, personnages s'estompèrent et se fondirent
dans un accord final dont l'écho retentit fort loin, laissant tous les
spectateurs et badauds abasourdis…Nul n'avait envie que la magie s'arrête. Il
en allait ainsi en particulier de Maîstre Gérard qui s'était mis à éructer plus
qu'il ne chantait
-
Je suis formi, formi, formi, formidaaaaaaable ! You are for me, for me, for me, for
minaaaaaaable !
-
Monsieur mon mari, tenez vous !
-
Maîstre Gérard parle l'anglois ?
-
Quelques mots appris aux anglois qui occupaient la
région quand le Duc de Bourgogne était leur allié. Il n'en est plus ainsi,
après le renversement des alliances.
-
J'ai ouï dire !…… Le bourgogne aligoté de Maîstre
Christian fait des ravages, dame Nicole !
-
Où allez vous diriger vos pas en nous quittant ?
-
Je descend vers le sud, vers la Provence. On n'y craint
plus les sarrazins et le Comte de Provence s'est également rallié à notre roi
Jacques 1er .
-
Avez-vous visité de nombreuses contrées, étrange
baladin ?...Poussez-vous femme et me laissez en paix, je tiens debout que
diable !
-
Certes Maîstre Gérard, je fus en Germanie et en Vénétie,
je…
-
Parlez-moi de Venise la belle et de ses canaux, de sa
lagune et de ses barcaroles, de ses palais et de ses femmes !
-
Monsieur mon mari, tenez vous !
-
Figurez-vous, Maîstre Gérard, que j'y rencontrai
l'amour, mais que celui-ci sous les traits d'une levantine sensuelle préféra
les sequins d'un des petits tribuns de la république de Vénétie ! Que c'est
triste Venise au temps des amours mortes ! J'ai dit adieu au pont des soupirs
et adieu à mes rêves perdus, j'ai fait mon baluchon et j'ai quitté le pays !
-
Ah, que me tenez-vous discours triste, mon cher
troubadour ! J'ai moi-même rêvé de visiter ces contrées quand hier encore
j'avais vingt ans ! Mais j'ai perdu mon temps à faire des folies qui ne m'ont
laissé au fond rien de vraiment précis que quelques rides au front et la peur
de l'ennui…Hic ! J'ai critiqué le monde avec désinvolture…Hic !
-
Après il m'a rencontré et m'a espousaillé !
-
Après je l'ai rencontrée et…,tenez-moi,… je l'ai
espousaillée !
-
Monsieur mon mari, il est temps d'aller dormir.
On avait beaucoup de mal à traîner
Maîstre Gérard jusqu'à sa couche. Plusieurs personnages s'y étaient mis, dont
Maîstre Christian, somptueux gaillard joueur de soule. On entendait des bribes
et des couplets vociférés par Maîstre Gérard comme : Il est des nôôôôôtres !,
ou encore : Le curé de Camareeeeeet a les…ou encore : Mais
lââââââchez-moi !... ou bien encore : Eeeenmenez moi au bout de la
teeeeere ! Et puis on n'entendit plus rien car on l'emmena dans son lit.
C'est le moment que choisit Pauline, fille de dame Nicole pour venir aider et
aguicher, il faut bien le dire, le baladin qui finissait de ranger tout son
attirail et comptait la monnaie qu'il avait récolté dans son chapeau…Dame
Nicole, son mari étant circonscris dans le lit marital, revint sur ces
entrefaites et s'emporta à l'encontre de sa fille.
-
Cesse donc tes manigances, petite gourgandine et va
donc préparer les herbes pour demain à l'échoppe !
-
Ma mère, je ne fais rien de mal !
-
Il ferait beau voir que tu attrapes le mal-joli avec
tes finasseries et tes mièvreries.
-
Ma mère, nous ne sommes pas herboristes pour rien, et
vous savez comme moi que nous avons les herbes et décoctions propres à faire
passer les fœtus de vie à trépas…
-
Nous avons d'avantage de décoctions aphrodisiaques que
ce dont tu parles ! Et ce n'est pas le moment d'en donner à ton père, même s'il
en réclame ! Je tiens à passer la muit tranquille..Va, disparais ! Et que je ne
te reprenne plus à tourner autour des damoiseaux ! Excusez-nous, messire
troubadour, mais votre spectacle a été propre à perturber un peu la
tranquillité de notre cité…Tenez voici encore quelques bons écus sonnants et
trébuchants et quittez la ville céans !
Et dans un dernier regard de femme
décidée, Dame Nicole tourna les talons et le troubadour se retrouva seul au
milieu de la place…Il n'avait plus rien à faire en cet endroit et il sortit de
la ville en prenant le chemin du sud…Au bout de quelques lieues, un jeune homme
à cheval le rejoignit. Il reconnut le jeune Simon, fils de Maîstre Gérard, qui
le pria de faire la route avec lui et de l'accompagner ainsi jusqu'en Provence.
Il lui expliqua qu'il était fort
las de s'ennuyer auprès de sa famille et qu'il voulait découvrir le monde et
que son rêve était de voir la mer et d'y chevaucher sur les vagues. Les vagues
dont il avait entendu parler par d'autres troubadours, soldats et étrangers de
passage…Ils cheminèrent ensemble au soleil couchant.
-
Morgane ne t'écoute plus, mais tu continues à raconter
et à élucubrer…
-
J'aime bien…
-
Moi aussi, c'est pour ça que je t'aime, mais là il est
tard et demain j'ai la prise de contact. Viens te coucher…
CHOREGR'AFRIQUE
-
Ce jeu de
mots n'est pas terrible…Personne ne va bien comprendre. T'es plus avec Raymond…Et
puis c'est drôlement difficile à articuler
-
Je m'en fous, moi il me plait parce qu'il est de
toi et puis qu'il n'est pas si mal que ça pour qui veut régler son compte à la
danse classique, moderne et contemporaine en collaborant avec ceux qui sont
venus me chercher….. Et ça va faire causer ces cons de critiques !
-
Rançon de la notoriété grandissante ! Au niveau
jeux de mots, j'ai quand même fait mieux dans le genre, heureusement ! Bon à ce
soir, bisou…
On avait réquisitionné le Père Ubu pour régler ces comptes.
Brave Père Ubu, toujours prêt à rendre service…Clary avait travaillé avec des
noirs américains, avec un ou deux beurs français, jamais avec des africains et
elle savait que cela serait à la fois facile et difficile. Facile sur le plan
relationnel, difficile sur le plan chorégraphique…Du moins c'est comme ça
qu'elle voyait les choses jusque là. Jusque là, c'est-à-dire une ébauche d'idée
de spectacle vraiment floue avec un recrutement un peu hétéroclite. Elle avait
assisté à plusieurs galas et spectacles de danse africaine, parfois jusqu'à en
être saturée et dans un laps de temps si court qu'elle n'avait pas eu le temps
de tout digérer…Comme d'habitude elle savait ce qu'elle voulait ne pas faire et
elle ne savait pas vraiment ce qu'elle voulait faire…Et puis il y avait ceux de
sa compagnie qu'il n'était pas question de laisser tomber, même pour une
saison, surtout en ces temps difficiles pour les intermittents du spectacle. Et
eux, ils étaient blancs.
Quand elle réunit tout le monde sur le plateau, les
africains se rangèrent à cour et les membres de sa compagnie à jardin, mais il
n'y eut pas de mélange. Et tout ça s'était fait naturellement sans qu'il y ait
préméditation. On pouvait donc mettre ça sur le compte du hasard, de l'instinct
grégaire, de la force de l'habitude, cependant Clary y sentit une première gêne
qui ne ferait que s'accentuer.
Pourtant les passerelles donneraient le change…Par exemple
Merryl allait sûrement en draguer trois ou quatre fort bien bâtis. Pour l'heure
elle faisait la tête de la danseuse étoile qui avait pâli et qui se demandait à
quelle sauce elle allait être mangée… On s'inviterait, on se raconterait des
banalités sur la différence des cultures.
On ferait bien
attention à ne froisser aucune susceptibilité, et bien d'autres précautions de
gens policés. On visiterait Paris. On se ferait croire que la danse est un
langage universel…
Clary parla longuement de son projet qu'elle avait vaguement
abordé avec chacun individuellement ou par petits groupes au moment où elle
avait fait son recrutement. Et comme elle le craignait il en ressortait quelque
chose d'assez flou, dans lequel chacun faisait semblant, en opinant du chef,
d'y retrouver une affinité qui leur convenait.
L'idée était de faire reculer les "ubus", malgré
des réticences, et faire progresser et reconnaître la chorégraphie des danses
africaines comme faisant partie intégrante de la danse et non pas comme une
forme de danse plus ou moins folklorique ou exotique, bien à part, avec ses
codes et ses rites et bien sûr ses limites…Les "ubus" représentant
dans ce contexte la supériorité, l'hégémonie, et la xénophobie d'une danse
américano-européenne ayant du mal à s'ouvrir aux autres cultures et ayant assez
de problèmes internes pour mélanger subtilement classique, moderne, jazz et
contemporain, sans compter le hip-hop, la break-dance et autres avatars de la
culture "urbaine". Ils représentaient également la dérision et le
grotesque de "l'establishment" face au prétendu côté tribal,
animiste, vaudou, animal, et autres connotations péjoratives et racistes que
pouvaient engendrer la perception de la danse africaine…Et ce malgré l'engouement indéniable du public et
des danseurs amateurs ou professionnels.
Clary ne savait pas si on la suivait bien jusque là. Elle
sentait bien qu'elle délayait trop.
Les visages étaient graves, mais n'exprimaient pas assez ce qu'elle
aurait aimé y voir, une once d'assentiment ou de partage….Elle continua.
Elle ne voyait pas les "ubus" être dansés
uniquement par les membres de sa troupe, mais un mélange des deux pour ne pas
rendre la chose trop manichéenne et trop simpliste dans son opposition…Elle
avait envie de commencer par la démystification du pas de deux classique comme
dans "Giselle" ou "Coppelia" en opposition avec une danse
tribale de cérémonie initiatique pour jeunes africains des deux sexes…Les
"ubus " danseraient les pas de deux, puis viendraient essayer de
perturber la cérémonie initiatique qui se déroulerait presque en parallèle.
Pour la musique on prendrait du Ali Farka Touré accompagné par Rye Cooder, par
exemple. Elle proposa à Fabrice de faire un échauffement et des impros tournant
autour du thème…Un peu plus tard, elle eut quelques mots malheureux sur la
polygamie, sans aucune arrière-pensée. Boubacar lui fit remarquer avec aigreur
qu'elle n'y connaissait rien et que lui-même avait laissé trois femmes au pays
à qui il envoyait de l'argent de temps en temps. Elle fut à deux doigts de lui
demander s'il n'avait pas oublié de faire exciser ses filles…Elle se contenta
de lui répondre qu'il ne fallait pas compter sur elle pour faire la quatrième.
Personne ne rit de ce trait d'esprit sur le plateau, où les circonvolutions
s'étaient arrêtées…Puis elles reprirent doucettement, sans Boubacar qui était
allé se changer. Clary en profita pour dire à l'assistant africain que s'il
avait prérecruté des filles, un groupe mixte, des choses comme celles-là
n'arriveraient pas. Ce dernier ne souffla pas un mot. On commençait dans une
atmosphère tendue, s'il en est.
Plus tard, au moment d'une pause, Merryl et Irina lui firent
remarquer gentiment que monter ce spectacle allait lui faire du bien, à elle
qui faisait de plus en plus preuve, sinon de tyrannie, du moins d'une extrême
fermeté…Mais c'était peut-être là la marque des grands chorégraphes, avaient
elles perfidement insinué…Clary rentra chez elle un peu abattue.
-
Ça me fait chier qu'il n'y ait pas de femmes ! Tu te
rends compte, pas de femme…C'est une façon pour celles qui viennent faire de la
danse en europe de se libérer, de marquer leur différence, d'essayer de faire
évoluer les mentalités, et nous on fait un spectacle sans elles ? Je n'ai pas
été assez pro sur ce coup là. J'ai trop fait confiance, j'ai trop délégué. Je
vais exiger qu'on engage des femmes et j'espère que le Boubacar va en profiter
pour se casser… Je ne sais pas comment ça va évoluer !
-
Tu disais ça avec "Il persiste le cygne !" et
ça a été un succès. Ce n'est pas plus mal de ne pas être trop sûre de soi en
commençant. C'est par la suite qu'il faut se trouver et se forger la certitude
que ça va marcher.
-
C'est bien une remarque de psychosociologue…Bon, je
vais coucher Morgane et c'est toi qui racontes une histoire, comme d'ab ! Je me
suis bien forgé cette certitude sur le partage des tâches…Et après je te fais
ta fête !
-
Oh !...J'espère qu'il vont continuer à te faire douter
!
PSYCHE-ANALYSE
-
Elle est
lourde cette boîte !
-
C’est une malle !
-
Allons, c’est une boîte, une grosse boîte,
mais une boîte quand même !
-
Une malle !!!
-
Une boîte !!!!
-
Une malle !!!!
-
Bon, bon, d’accord…Je te ferai remarquer que
je ne suis pas têtu ! C’est une malle…
-
Ah, merci… !
-
Y a pas de mal !...Qu’est-ce qu’il y a,
tu boites ?
-
Je suis fatigué…C’est lourd, comme tu le
faisais si bien remarquer…
-
Qu’est-ce qu’il y a dans cette boît…dans cette
malle ?
-
Une
femme… !
-
Ah, ah, ah, très drôle… ! Tu te moques de
moi ?!
-
Toi, tu
n’es pas têtu…, moi je suis sincère…Il y a une femme dans cette malle…
-
Mais une
femme, ce n’est pas aussi lourd…D’ailleurs, si elle te voyait pester, maugréer,
souffler comme un bœuf, elle serait vexée…Tu sais comment sont les femmes, si
promptes à réagir quand on aborde le sujet de leur surcharge pondérale, même
fictive… !
-
Crois ce
que tu veux…Dans cette malle, il y a une femme !
-
Une
femelle dans une malle, c’est assez cocasse !...Non, mais trêve de
balivernes, tu me fais marcher, là ?
-
Ecoute, si tu ne me crois pas…Des fois, elle
se met à parler
( A ce moment la, une voix se fait entendre )
-
Nous
sommes arrivés ? Pour quoi est-ce que nous nous sommes arrêtés ?
-
Mais c’est une voix de femme !
-
Qu’est-ce
que je te disais !
-
Mais
pourquoi l’enfermer, la séquestrer dans une malle ?
-
Pour être sûr de l’avoir toujours avec moi,
pour ne pas perdre ce que j’ai de plus précieux, auquel je tiens comme à la
prunelle de mes yeux.
-
Mais tu
n’ouvres jamais la malle ? Tu ne la
laisses pas sortir un peu ?
-
Non !
-
Elle est belle ?
-
A en mourir !
-
Mais c’est elle qui va mourir ! Je veux
la voir, je vais ouvrir cette malle !
-
Ne fais pas ça, je t’en conjure !
-
Dis-moi au moins à quoi elle ressemble !?
-
Evanescente, diaphane, troublante, secrète,
enjôleuse, gracieuse, câline, maternelle, gourmande, mais aussi jalouse,
rebelle, inquisitrice, bavarde, sentencieuse, avare…Aucun peintre ne réussirait
à la peindre et à rendre ces contradictions en faisant ressortir toute sa
glorieuse beauté….
-
J’ouvre la malle, je n’y tiens
plus !!
-
Non…. !
-
J'ouvre…!...Il n’y a rien dans la malle !
Elle s’est fait la malle, elle a réussi à s’enfuir… !
-
Je
sais !
-
Qui c’est qui parlait alors ?
-
Je suis
ventriloque…Je n’ai pas su la garder. C’était mon secret !
-
Je comprends pourquoi il était lourd à porter…
Viens on va en chercher une autre !
-
Tu crois qu’on va trouver ?
-
Ne sois pas pessimiste…Elle peut être
partout ! Partout où ton œil se pose.
-
Tu l’as déjà vue ?
-
Des centaines de fois !
-
Décris-moi
la !
-
Je l’ai
connue pour la première fois il y a fort longtemps, quand j’étais un demi-dieu,
Eros m’appelait-on…
-
Tu as été un demi-dieu, toi ?! On ne le
dirait pas à te voir…
-
Ne
m’interromps pas !... Elle s’appelait « Psyché »…Certains
prononcent avec un ch., comme dans chanson, mais il ne faut pas les imiter…
-
Tu es encore plus fou que moi, toi ! Un
vrai psychépate !
-
Chut…Je l’ai emmenée dans un palais enchanté
où je lui rendais visite toutes les nuits. Je lui jouais de la musique, je
l’aimais... Je lui promis un bonheur durable si elle ne cherchait pas à
connaître mon visage…Mais une nuit, elle a allumé une lampe, m’a vu, une goutte
d’huile est tombée sur moi et le palais s’est évanoui…Elle est tombée dans un
enchantement, elle est devenue une fée, qui se matérialise partout, dans la
rue, dans un champ, sur la mer, dans un palais, dans une chaumière…
-
Dans un
H.L.M. ?... ?
-
Partout, je te dis…Parfois, elle réapparaît et
me fait des petits signes. Je la suis…Elle m’emmène loin…Loin, aux confins de
l’entendement et de l’imagination. C’est ma psyché à moi, c’est ma muse, je
finirai par la reconquérir définitivement…
Enfin c’est mon analyse ! En tous
cas, j'ai terriblement besoin d'elle pour mon inspiration.
-
Ça fait
longtemps que tu suis une psyché-analyse, comme ça ?
-
Tais-toi, mécréant ! Arrêtons nous, j’ai
soif ! Il y a une auberge.
-
Moi, j’ai faim !
-
Moi aussi j’ai faim…de la revoir encore et
encore…Elle m’affame !
-
Elle, ta femme ?
-
Chut, je sens que je vais bientôt la voir.
-
Entrons…
-
Qu’est-ce
qu’on fait de la malle ?
-
Ah…La boîte ? Laissons-la là !...Entrons
(Ils entrent dans l'antre, mais ce n'est pas
une simple auberge ou l'on peut se sustenter et puis s'en aller comme on est
venu…Les choses sont toujours plus compliquées avec les artistes et d'ailleurs,
on dit toujours : Avec vous, les artistes…!...sans jamais vraiment finir
sa phrase. En laissant toujours ce non-dit lourd de sous-entendus et de sens
caché…Bref, ils entrent, à leurs risques et périls. )
-
Entrez
messieurs !
-
C'est
encore toi qui fais le ventriloque ?
-
Mais
non, ne parle pas trop fort ! Je sens des ondes bizarres…
-
Vous
vous appelez comment ?
-
Moi ?
Mat.
-
Et vous
?
-
Moi…
-
Ben oui,
vous ! Vous vous appelez comment ?
-
Lewis
Lou
-
Mais ce
sont vos noms de scène…J'aurais voulu vos vrais noms. Je comprends, vous avez
soif de création, vous avez faim de reconnaissance. Vous voulez faire du
"pestacle" !
-
On
dirait un interrogatoire de police.
-
C'est
pour ça que tu chuchotes?
-
Il a
raison Lewis Lou, ce n'est pas la peine de chuchoter…J'entends tout, je suis
partout. Qu'est ce que vous croyez ?...Que tout est psychidyllique dans la
création artistique ? Ne fantasmons pas, que diable !
-
Mais,
nous…
-
Taisez-vous
Mat, ce n'est pas vous qui décidez, je suis "l'inspiration" et il va
vous falloir apprendre à composer avec moi. Je relève de la
psychéiatrie…Traduisez je suis complètement folle. Je suis constamment sur la
frontière entre l'entendement et la folie. Je reflète le beau, le pur,
l'essentiel, mais aussi le bizarre, l'étrange et l'iconoclaste et j'enferme le
créateur et le public dans leurs contradictions…Par contre, ce n'est pas moi
qui décide si vous deviendrez célèbres ou non, ça m'échappe complètement et
d'ailleurs ça ne m'intéresse pas du tout. On n'est plus dans la psyché-analyse,
on est dans l'inconscient et le conscient collectif….On n'est plus dans le
subjectif-objectif, on est dans l'objectif-subjectif…Je ne sais pas si vous me
suivez…
-
Difficilement…
-
Mais ta
gueule, il ne faut pas dire ça !
-
Ah,
maintenant c'est toi qui chuchotes…
-
Il a
raison Mat. Je viendrai vous visiter à n'importe quel moment. C'est où je veux
quand je veux ! A ce propos, les hommes ne profitent jamais assez des quelques
minutes de lucidité après l'orgasme. A bon entendeur salut !
-
On est
dans le subjectif là ?
-
Ta
gueule Mat, elle va nous avoir dans l'objectif après…
-
On dit
le collimateur…
-
Filez,
gros malins, et attendez mon bon vouloir, toi le musicos et toi le petit
écrivaillon ! Et pas de psyché-drames !
Ils sont quasiment poussés dehors de
"l'auberge"
-
C'était
un peu dévalorisant non ?
-
Pas du
tout, ne soyons pas trop exigeants. Nous allons cultiver notre différence…Tiens
une jeune fille…Tu, tu, tu t'appelles Amandeen toi, non ?
-
Oui,
oui, oui !
-
Si tu as
soif de créer et faim de reconnaissance comme nous, suis nous.
-
D'accord
! Je connais des bonnes adresses…On va commencer par une bonne pizza et un bon
petit chianti, après on verra. J'espère que vous n'allez pas me créer trop
d'ennuis…